Par Nicolas Cacopardo, coordonnateur du pôle Justice.

Demandée depuis de très nombreuses années par les associations de consommateurs, l’instauration des actions de groupe (ou class-action outre-Atlantique) est revenue sur le devant de la scène avec l’annonce par Christiane Taubira, dès la fin juin, de la mise en chantier de ce projet et l’ouverture par Benoît Hamon d’une consultation pour mettre en œuvre cet engagement de François Hollande.

Alors que cette concertation vient d’être clôturée, nous proposons de doter la France d »un système de class actions au champ d »application large, favorisant la gratuité pour les citoyens et incitatif pour les représentants de consommateurs.

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Malgré un large consensus, la mise en place retardée des class actions en France

Créées en 1950 aux Etats-Unis, les class actions sont aujourd’hui mises en œuvre sous différentes formes dans de très nombreux pays (Canada, Portugal, Italie, Angleterre, Allemagne, Suède, Australie, etc.).

Leur introduction en France fait largement consensus – seul le MEDEF indiquant s’y opposer. A droite, elle fut promise par Jacques Chirac en 2005 et par Nicolas Sarkozy en 2007, et figurait dans le rapport Attali de 2008. A gauche, elle fut portée par le groupe socialiste au Sénat notamment en 2006 et 2011.

Ce consensus large repose sur les nombreux avantages offerts par ces recours collectifs : augmentation de l’efficacité de la justice par la limitation de la redondance de procès pour les mêmes faits ; amélioration de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; incitation à se défendre pour les citoyens même lorsque la compensation espérée seul est minimale ; répartition plus équitable des compensations en cas de défendeur peu solvable ; etc.
Mais malgré ce large consensus, deux facteurs ont contribué au retard pris par l’instauration des class actions en France : la culture et les règles procédurales européennes, d’une part, qui, en renforçant par rapport au modèle américain les droits de la défense, compliquent l’instauration du dispositif et, d’autre part, la grande variété des modalités de mise en œuvre possibles, qui demande de nombreux arbitrages.

S’agissant de la culture et des règles procédurales européennes, la nature même des class actions – une entité représente tout un ensemble de plaignants – peut sembler aller à l’encontre du droit de la défense de bénéficier d’un procès contradictoire, le défenseur ne pouvant être opposé à chaque plaignant individuellement. Par ailleurs, l’efficacité des class actions à l’américaine repose beaucoup d’une part sur la gratuité de la procédure pour les citoyens, rendue possible par une rémunération des avocats au résultat ou pacte de « quota litis », pratique interdite en France, et d’autre part sur la technique de la « discovery » qui permet aux avocats des plaignants d’obtenir facilement du défendeur des pièces à charge, procédure qui n’a également pas cours en France.

On le comprend, l’instauration de class actions efficaces en France passera tout d’abord par un grand courage politique, celui de s’attaquer à certaines règles et pratiques procédurales anciennes. Toutefois, l’instauration ces dix dernières années des class actions dans de nombreux pays européens semble prouver que cela est possible.

Des arbitrages sur les modalités pratiques de mise en œuvre décisifs pour l’efficacité des class actions

La mise en œuvre des class actions appelle un certain nombre d’arbitrages sur ses modalités pratiques : arbitrage relatif au champ d’application de la procédure (droit de la consommation seul ?, droit de la consommation et de la concurrence ?, ensemble des actions civiles ?), arbitrage relatif à la qualité nécessaire pour se porter représentant d’un groupe de plaignants (association agréé ?, tout type d’association ?, individuel mandaté ?), arbitrage relatif aux modalités d’information du public pour lui permettre de rejoindre une class action et aux modalités de constitution du groupe (opt-in, c’est-à-dire par déclaration ?, opt-out, c’est-à-dire qu’on est réputé membre du groupe si les conditions sont réunies ?), arbitrage quant à la mise en place ou non de la technique de la « discovery » et des pactes de « quota litis », arbitrage enfin sur la possibilité ou non de dommages punitifs.

Ces arbitrages sont à rendre avec d’autant plus de soin que des risques existent.

Risque d’inefficacité, d’une part, car il ne faudrait pas rééditer l’échec des « actions en représentation conjointe » qui, depuis leur instauration en 1992, n’ont été utilisées que moins d’une dizaine de fois. Risques de dérives, d’autre part, comme la possibilité de voir les avocats profiter de la multiplicité des plaignants pour exiger des honoraires exorbitants, de voir les tribunaux s’engorger par la présence de nombreuses plaintes abusives ou, comme l’anticipe le MEDEF, de créer un nouveau risque juridique pour les entreprises qui se traduirait par une perte de compétitivité ou serait répercuté par des hausses de prix pour les consommateurs.

Pour un système de class actions au champ d’application large, favorisant la gratuité pour les citoyens et incitatif pour les représentants de consommateurs

Cartes sur table propose de doter la France d »un système de class actions au champ d’application large, favorisant la gratuité pour les citoyens et incitatif pour les représentants de consommateurs.

Des class actions applicables à l’ensemble du droit civil

Bien que les litiges liés à la consommation et à la concurrence semblent, de prime abord, les plus concernés, nous proposons d’étendre le champ d’application des class actions à l’ensemble du droit civil afin que soient couverts les cas de résidence dégradée, d’information financière trompeuse et d’action collective environnementale.

Ouvrir largement la représentation des class actions

Réserver l’initiative des class actions à certains acteurs uniquement, par exemple aux associations de consommateurs comme ce fut le cas pour l’échec des « actions en représentation conjointe » ou comme cela fut avancé dans la plupart des propositions de loi ou rapports récents sur ce sujet, ne nous semble pas justifié et ne correspond pas à la pratique des autres pays européens. Nous préconisons donc une ouverture large des procédures de class actions à l’ensemble des personnes morales ou physiques mandatées par au moins deux personnes.

La combinaison du principe d’une procédure en plusieurs étapes tel que présenté dans la proposition de loi du groupe socialiste au Sénat en avril 2006 (jugement déclaratif de responsabilité puis action en réparation) et de celui du regroupement de plusieurs actions de groupes similaires par la désignation d’un « chef de file » tel que proposé par le Rapport d’information du Sénat de mai 2010 nous semble permettre cette ouverture large sans risque d’engorgement des tribunaux.

Permettre la libre sollicitation de mandat

En partant du constat que les citoyens ne sont pas les plus à même d’identifier les situations permettant l’ouverture d’une class action ou d’identifier les interlocuteurs à solliciter, il semble pertinent d’autoriser la sollicitation publique de mandat de la part d’avocats ou d’associations habitués de ces procédures. Par ailleurs, la solution de l’opt-in nous semble préférable et plus applicable.

Favoriser la gratuité pour les citoyens et inciter les mandataires à s’investir

L’efficacité des class actions résidera pour beaucoup dans l’intérêt économique qu’y trouveront les différents acteurs. Pour favoriser la gratuité de la procédure pour les citoyens, nous proposons d’étendre le champ de l’aide juridictionnelle aux actions de groupe, notamment pour permettre, comme c’est parfois le cas pour l’aide juridictionnelle individuelle, d’accorder l’aide lorsque l »objet du litige est jugé particulièrement digne d »intérêt pour la collectivité. Par ailleurs, nous estimons nécessaire d’interdire aux associations de consommateurs mandatées d’exiger préalablement à l’action le paiement d’une adhésion à l’association, comme ce fut parfois le cas pour les « actions en représentation conjointe ».

Pour inciter les mandataires – quelque soit leur profil (individuel, avocat, association) – à prendre à leur charge les frais de la procédure et donc à s’investir, il semble indispensable de créer des mécanismes nouveaux de rétribution au résultat. Parmi ces mécanismes nouveaux pourraient être envisagés : le paiement systématique des frais de procédure par le défendeur condamné, l’autorisation des pactes de « quota litis » ou la distribution d’une part des dommages et intérêts au mandataire.

Envisager une prise en charge de la procédure par l’Etat

Par ailleurs, une solution possible pour la mise en place des class actions pourrait être de confier la représentation des citoyens à l’Etat, par exemple au réseau des Défenseurs des Droits qui verrait son champ d’action élargi. L’Etat prendrait alors à sa charge le financement de l’action mais pourrait, en cas de victoire, en tirer profit sous la forme d’une amende civile, au champ d’application étendu.

La discovery à la française

Le principe de la « discovery », permettant d’obtenir facilement du défendeur des pièces à charge, nous semble être un maillon essentiel du succès des class actions et nous recommandons l’instauration, en droit français, d’une procédure analogue.

De la question des dommages punitifs

La possibilité de dommages punitifs, en cela qu’ils représentent une sanction pour le défendeur condamné allant au-delà du seul remboursement des préjudices subis par les citoyens et des frais de procédure, et donc une incitation à respecter la loi, semble enfin souhaitable. Toutefois, conscient des risques qu’ils pourraient représenter pour les entreprises, nous préconisons de ne pas prévoir leur mise en place dans l’immédiat mais d’envisager plutôt à moyen terme la possibilité d’amendes collectées par l’Etat.

Lire la tribune publiée par Nicolas Cacopardo sur LeHuffingtonPost.fr.

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