Le mode de transport ferroviaire n’est plus à la mode, ou du moins ne fait-il plus couler autant d’encre qu’auparavant. Qui se souvient des célébrations du train Capitole couvrant Paris-Toulouse en 6 heures seulement en 1967, de Paris-Lyon en 2 heures en TGV en 1981, ou encore du record du monde de vitesse du 18 mai 1990 en TGV ? Si le train ne fait peut-être plus rêver comme avant en recherchant les records absolus de vitesse comme le 3 avril 2007 à 574,8 km/h sur le TGV Est-européen, et à une époque où le modèle du TGV s’essouffle avec une baisse de la fréquentation et des bénéfices engendrés, l »actualité brûlante nous rappelle que des trains continuent à rouler.

La catastrophe ferroviaire de Brétigny, mais aussi la catastrophe impressionnante en Galice avec un train rapide, remettent sur le devant de la scène ces trains « du quotidien », oubliés justement du fait de leur utilisation quotidienne par les usagers, et les problématiques d’infrastructures souvent mises de côté par rapport aux modes de transport routier et aérien. Pourtant, l’indispensable modernisation ou rénovation du système ferroviaire, voire innovation dans un même ensemble cohérent et dynamique, devient de plus en plus urgente.

 

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Un décalage face à la réalité : les conclusions du rapport Duron et la réforme ferroviaire

La remise du rapport Duron le 27 juin 2013 est justement venue mettre à mal cette nécessaire vision d’ensemble du transport ferroviaire français, en privilégiant différents scénarios d’infrastructures. Le premier scénario est à l’économie et n’engage que 8 à 10 milliards d’euros, le second est plus conséquent, de 28 à 30 milliards d’euros, mais sera certainement infaisable du fait du manque d’initiative politique et de finances publiques pour sa réalisation. Ce rapport préconise par ailleurs l’abandon pur et simple de la construction de lignes à grande vitesse (LGV) sur la majeure partie du territoire.

Il est vrai que les quatre chantiers actuels lancés simultanément (Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes, la seconde phase du TGV Est, et le contournement de Nîmes et Montpellier) ont été une réponse, voire le pilier de la politique de relance de l’État pour faire face à la crise. L’effet positif a été de développer encore plus la technologie à grande vitesse sur les plans de l’infrastructure et du matériel ferroviaire afin d’en faire une vitrine mondiale malgré la concurrence internationale, et de l’Espagne notamment. Mais ces grands travaux, accomplis en recourant à la formule du Partenariat Public-Privé (PPP) mettent en danger les futurs financements de LGV à cause du recours excessif à la dette publique, et promeuvent le système des concessions privées, et par conséquent de LGV où les péages ne seront plus réglementés par RFF ou un quelconque établissement public.

Ces quatre derniers chantiers simultanés ont sans aucun doute été la raison de l’abandon de projets de LGV indispensables au maillon ferroviaire européen de la grande vitesse par le rapport Duron : seconde phase du TGV Rhin-Rhône, TGV Lyon-Turin, TGV Côte d’Azur, TGV Bordeaux-Espagne et déviation de Montpellier-Perpignan.

Il faut rappeler que le TGV Rhin-Rhône, ou la déviation Montpellier-Perpignan, ne sont pas des enjeux nationaux mais bien européens. L’idéal sur le long terme est de créer de véritables corridors européens ferroviaires en dépassant les ruptures de charge frontalières, et en augmentant la productivité par la vitesse aussi bien pour le transport de voyageurs que de marchandises. Mais le rapport Duron vient rompre la dynamique d’homogénéité ferroviaire européenne. D’un côté, il décide arbitrairement d’arrêter les projets de construction de la LGV Perpignan-Montpellier lorsque la Catalogne, soutenue par la FERRMED[1] et la Ministre des transports espagnole, réaffirment l’importance de l’interopérabilité ferroviaire de l’arc méditerranéen vers l’axe rhénan. D’un autre côté, il conserve au premier plan la construction de LGV comme Bordeaux-Toulouse alors qu’une infrastructure classique existe déjà et que cette ligne n’a qu’un enjeu national, Toulouse étant déjà à 5 heures de Paris actuellement et 4 heures à l’horizon 2017 par l’achèvement de la LGV Tours-Bordeaux. Le rapport ne met donc en avant aucune cohésion ferroviaire, ni nationale, ni européenne, mais cherche plutôt à faire des économies en ne tenant pas compte de l’intelligence de certains axes projetés par le Schéma National d’Infrastructures de Transport (SNIT) de 2011. Les difficultés de mise en service complète de la LGV Perpignan-Barcelone ne sont que l’exemple du manque de priorité sur les relations ferroviaires à vocation européenne.

C’est dans ce contexte que doit également s’opérer la réorganisation ferroviaire, présentée par Frédéric Cuvillier le 29 mai 2013. Cette réforme a pour mission de simplifier le système : tout en gardant un haut niveau de sécurité, le secteur ferroviaire sera réunifié au sein d’un gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU) en lieu et place de RFF et SNCF Infra actuellement. La constitution d’un GIU peut être une bonne chose dans la mesure où deux acteurs (SNCF et RFF) ne se superposeront plus dans les questions d’infrastructures avec une rationalisation des moyens. Ceci permettra de plus de pallier d’une meilleure manière les problèmes de vieillissement des voies dénoncés par l’audit Rivier de 2005. L’accident de Brétigny ne démontre d’ailleurs pas en soi un problème dû à un manque d’entretien des voies, mais plutôt une conjonction de facteurs qui aggravent le signal d’alarme déjà tiré par l’audit Rivier : priorité aux investissements d’infrastructures à grande vitesse et vieillissement prononcé de celles des lignes classiques, emploi de matériels roulants âgés de 30 ans sur les trajets dits « du quotidien », et désertification des dessertes ferroviaires dites « transversales ».  Par conséquent, la constitution d’un GIU ne résoudra pas ces problèmes, mais va plutôt complexifier le système ferroviaire en créant trois pôles : un pôle contrôle et pilotage stratégique, un pôle infrastructure, et un pôle exploitant ferroviaire. En sachant qu’avant 1997 et la création de RFF, tout était piloté depuis la seule SNCF.

 

Repenser les temps de parcours et l »indépendance des acteurs du système ferroviaire

Quelles propositions faire pour résoudre ces problèmes ? Il faut non pas se contenter  de l’annonce de Jean-Marc Ayrault dénonçant les « grands projets pharaoniques » de LGV et défendant un investissement uniquement porté sur les trains Intercités avec du matériel neuf à hauteur de 500 millions d’euros, mais favoriser des idées nouvelles permettant des financements moindres.

Le problème des trains Intercités est récurrent depuis les années 80. À l’époque, malgré le financement de ces trains par convention avec les Régions en conséquence des lois de décentralisation, le matériel était de haut confort (Corail), et les trains étaient classés « Grandes Lignes » au même titre que des relations Bordeaux-Paris ou Paris-Marseille. C’est à la fin des années 90 et au début des années 2000 que peu à peu les trains classiques les moins rentables de la SNCF ont été déclassés en Corail Intercités (CIC), repeints sous une formule publicitaire Téoz (2002), et surtout supprimés sur un bon nombre de relations (le célèbre Paris-Millau en 2004 par exemple). Aujourd’hui, des trains symboliques comme l’Aubrac ou le Cévenol desservant le Massif Central, qui ont pour seul gain l’accomplissement d’un service public et de l’aménagement du territoire, seraient déjà supprimés si les collectifs de lignes et les élus ne s’étaient pas battus fermement.

C’est dans un souci de ne pas voir ces trains disparaître que l’État a créé en 2011 l’entité Trains d’Équilibre du Territoire (TET) au sein du Ministère des Transports, avec un conventionnement direct par l’État, et la SNCF comme exploitant ferroviaire. Malheureusement, le matériel reste toujours le même, avec des capacités de plus en plus limitées du fait du vieillissement, et les trains ne peuvent pas être compétitifs. Pourtant des solutions existent et à moindre coût : la SNCF, par le renouvellement effectif de ses plus anciennes rames TGV par des rames Duplex plus récentes et plus capacitaires, et par la confirmation le 25 juillet 2013 d’une commande de 40 rames Duplex supplémentaires de la SNCF à Alstom, pourrait avoir un parc excédentaire de rames TGV de première génération. Celles-ci sont aptes à 270 km/h ou 300 km/h selon les versions, et sont surtout autorisées à rouler sur la presque intégralité du réseau électrifié ferroviaire français avec toujours la rigueur de l’entretien et de la sécurité de la grande vitesse. Le parcours des relations actuelles Lille-Brive, ou bien Bordeaux-Marseille, couvert en partie par des TGV, combinent le profil LGV et ligne classique. C’est donc la preuve qu’il est possible de faire des relations Intercités avec des anciennes rames TGV. Premier avantage : la dépense est moindre que les 500 millions d’euros envisagés pour l’achat de matériel neuf. Avantage supplémentaire : en combinant des relations voyageurs sur un parcours partagé entre LGV et ligne classique, ces rames, du fait de leur adaptabilité à tous les profils,  permettent de relever la vitesse et de diminuer les temps de trajet, et n’engendrent pas de « travaux pharaoniques ». Il devient donc impératif pour TET de prendre les mesures nécessaires afin d’optimiser les relations Intercités par l’utilisation de matériel TGV excédentaire, et qui garantit le summum de la sécurité exigée à 300 km/h.

Il faut également reformuler le financement pour l’infrastructure ferroviaire. Le rapport Duron, et l’annonce de Jean-Marc Ayrault, abolissent le financement des LGV en se concentrant uniquement sur les lignes classiques. Bien au contraire, les financements doivent faire jouer de concert la construction de nouvelles lignes et la remise à niveau des lignes classiques, et la pertinence d’une nouvelle infrastructure lorsque l’infrastructure existante peut permettre de haute performance doit être systématiquement interrogée. Le Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO) prévoit la construction d’une LGV Bordeaux-Hendaye lorsque, en 1955, la ligne classique avait permis d’établir les premiers records mondiaux de vitesse sur rail à 331 km/h. Il semble évident que lorsque le profil de la ligne le permet, une modernisation accompagnée d’une remise à niveau de la signalisation peut permettre à des TGV de rouler à des vitesses honorables de 220 km/h, et de réduire les temps de trajet. Cette proposition complèterait la première en promouvant l’utilisation de TGV aussi bien sur lignes classiques modernisées que sur LGV, en réduisant les coûts de construction et les temps de trajet.

Enfin, pour plus d’indépendance et de sécurité, il faudrait absolument que chacun des pôles (infrastructure – exploitant – agence de sécurité) soit totalement indépendant de l’autre. Ceci permettrait d’éviter le scénario de Brétigny où l’on voit que la SNCF, en tant que gestionnaire d’infrastructure délégué (GID), a finalement le rôle principal sur l’infrastructure et l’expertise au détriment de RFF. Lors de la cession du réseau à RFF en 1997, ce même réseau avait une réserve de maintenance encore importante, et qui s’est épuisée à cause du système du GID. La réforme du ferroviaire doit donc absolument passer par un effort d’indépendance : la constitution d’un pôle infrastructure qui possède tous les moyens sous son autorité pour poursuivre l’effort de rénovation, et l’augmentation des prérogatives de l’Établissement Public de Sécurité Ferroviaire (EPSF) quant à l’homologation des lignes et du matériel ferroviaires sans passer par l’exploitant ferroviaire principal (SNCF) comme actuellement.

 

Dans un contexte économique de crise, le système ferroviaire doit être repensé en privilégiant la rationalité économique. La rapidité du train ne rime pas forcément avec une vitesse record. La véritable révolution passe par le coût de la minute gagnée, c »est-à-dire en concentrant les efforts sur la modernisation des lignes classiques afin d’augmenter leur potentialité et leur capacité au maximum. De même, en favorisant les parcours ferroviaires qui utilisent des portions de LGV autant que faire se peut, il est possible d’améliorer les temps de parcours sans forcément atteindre les coûts de construction d’une LGV. Le potentiel futur du système ferroviaire serait alors dans le réseau classique existant, et dans de nouvelles infrastructures qui favoriseraient l’intégration ferroviaire européenne par les connexions transfrontalières. Il faudrait alors revoir les bases de la réforme ferroviaire en cours afin de créer un pôle infrastructure et une agence de sécurité, totalement indépendants des exploitants, et qui veilleraient au bon déroulement de ce nouveau processus.

 

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[1] FERRMED est une association à but non lucratif promouvant le Grand Axe Ferroviaire de Marchandises Scandinavie-Rhin-Rhône-Méditerranée Occidentale en supprimant toutes les barrières frontalières : différences d’écartement des rails, de tensions électriques, de signalisation, etc.