Par Jean-Christophe MENARD (avocat au Barreau de Paris, docteur en droit, Maître de conférences à Sciences Po Paris)

  

Que révèle l’« affaire Cahuzac » ? Avant tout, une réactivité insuffisante de la Gauche. En effet, l’« affaire Cahuzac » était une opportunité inespérée pour la majorité de démontrer sa capacité à encaisser un coup terrible et à répliquer aussitôt par un réformisme d’urgence. Or, cette opportunité, la Gauche n’a pas su la saisir.

Les trois propositions du chef de l’Etat en réaction à cette affaire donnent le sentiment d’un réformisme précipité, impensé et partiel. Précipité car la proposition visant à interdire à tout élu condamné d’exercer un nouveau mandat soulève le problème de sa constitutionnalité. Impensé car la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est sans rapport avec l’« affaire Cahuzac ». Partiel car une « moralisation de la vie politique » exige de moderniser la législation sur les partis politiques et sur le financement des élections. Exigence pour le moment oubliée.

Cartes sur Table propose donc de répondre à l’« affaire Cahuzac » par un réformisme « de crise ». Un réformisme en trois actes. Trois actes pour opérer un « turn over » dans la vie politique.

Le premier de ces trois actes : instaurer le non-cumul intégral des mandats.

Télécharger la publication en pdf

 

Acte I : Pour le non-cumul intégral des mandats

 

La rénovation de la vie politique exige l’adoption d’une « grande loi » sur le non-cumul des mandats qui dépasse les propositions, certes intéressantes mais trop convenues, de la Commission Jospin. Car les citoyens sont las. Las d’avoir affaire à une classe politique figée, où la « jeune génération » est incarnée par les « quinqua », où les mandats font l’objet d’une captation par leurs titulaires. Or, les deux projets de loi présentés en Conseil des ministres ne sont pas à la hauteur. Sur le fond, aucune disposition sur le cumul d’un mandat parlementaire avec une activité professionnelle. Sur la forme, une entrée en vigueur beaucoup trop tardive : mars 2017 !

Cartes sur table appelle donc à une loi ambitieuse sur le non-cumul qui s’articule autour de deux objectifs : le renouveau et la transparence. Pour y parvenir, ce sont trois sortes de cumuls que le législateur doit encadrer : le cumul des mandats dans le temps ; le cumul d’un mandat parlementaire et d’une activité professionnelle ; le cumul de deux mandats électifs.

La rénovation de la vie politique suppose d’abord de limiter l’exercice des mandats successifs. A combien ? Deux. Une limitation à deux mandats consécutifs, soit une durée maximale de dix ans pour un député et de douze ans pour un sénateur ou un élu local, est un compromis idéal pour permettre un renouvellement de la classe politique tout en accordant aux élus le délai nécessaire pour agir. Cette limitation, le législateur doit l’inscrire dans les deux projets de loi. Mais le Parlement doit aller plus loin encore en s’attaquant à une autre forme de cumul : l’exercice simultané d’un mandat parlementaire et d’une activité professionnelle.

La déontologie impose dorénavant de penser le mandat parlementaire comme un mandat exclusif de toute fonction non-élective. L’expérience l’a en effet démontré, la possibilité pour un député ou un sénateur d’exercer, parallèlement à son mandat, les fonctions d’universitaires, d’avocat ou de conseil favorise les conflits d’intérêts et sert les groupes d’influence. La transparence de la vie politique rend nécessaire cette seconde limitation.

Enfin, et sauf à s’enfermer dans une approche théorique et, pour tout dire, déconnectée de la pratique, on comprend mal comment d’éminents universitaires ont pu récemment soutenir que « l’exception française du cumul des mandats » est un « atout pour notre démocratie » et que le non-cumul de deux mandats électifs empêchera les élus locaux d’être représentés au Parlement. C’est oublier que le Sénat continuera d’« assure[r] la représentation des collectivités territoriales » (article 24 de la Constitution), que les projets de loi sur le non-cumul ne prévoient pas d’interdire aux parlementaires l’exercice d’un mandat local « simple » et, surtout, que les fonctions exécutives d’une collectivité locale ou d’un établissement public intercommunal exigent un investissement tel qu’il rend incompatible l’exercice concomitant d’un mandat, tout aussi accaparant, de député ou de sénateur.

L’instauration d’un non-cumul « intégral » des mandats, c’est à cette condition seulement que la prochaine loi sur le non-cumul sera l’une des « grandes lois » du quinquennat. Or, actuellement, elle n’est qu’une réforme a minima.

   

L’instauration du non-cumul intégral des mandats pourrait donc constituer le premier acte du « turn-over » dans la vie politique que Cartes sur table appelle de ces vœux.

Cartes sur table publiera le 15 avril le deuxième acte de ce « turn-over », consacré à la réforme du financement de la vie politique.