Par Ariane KOMORN et Martin BOHMERT

 

Trier ses déchets, économiser l’eau et l’électricité, contribuer à la protection d’espèces en voie de disparition – autant d’exemples de comportements que nous adoptons plus spontanément aujourd’hui qu’hier. Phénomène nouveau, la grande majorité des Français estime avoir un rôle direct à jouer dans la protection de l’environnement et adapte en conséquence les gestes de son quotidien.

C’est de l’automatisation croissante de ces gestes, soutenue par un rapport nouveau à notre environnement, qu’on peut attendre une profonde et durable transition écologique. Il ne s’agit pas ici de réfléchir aux moyens techniques, économiques et politiques de conduire la transition, mais à la manière de promouvoir une culture qui la rende possible.

Ariane KOMORN et Martin BOHMERT lancent , à l »occasion de la 14e édition des Mardis de l »Avenir à l »Assemblée nationale, le débat.

 

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Trier ses déchets, économiser l’eau et l’électricité, contribuer à la protection d’espèces en voie de disparition – autant d’exemples de comportements que nous adoptons plus spontanément aujourd’hui qu’hier. Phénomène nouveau, la grande majorité des Français estime avoir un rôle direct à jouer dans la protection de l’environnement[1]et adapte en conséquence les gestes de son quotidien.

C’est de l’automatisation croissante de ces gestes, soutenue par un rapport nouveau à notre environnement, qu’on peut attendre une profonde et durable transition écologique. Il ne s’agit pas ici de réfléchir aux moyens techniques, économiques et politiques de conduire la transition, mais à la manière de promouvoir une culture qui la rende possible.

Bien ancrée, une telle culture permettrait de surmonter un certain nombre de paradoxes auxquels se heurte la transition écologique. Celui de l’horizon d’attente, c’est-à-dire des actions de long terme requises par la transition et contrariées par la vision court-termiste inhérente au calendrier politique. En effet, la culture inscrirait la transition écologique dans le temps long, nous conduisant à privilégier dès aujourd’hui ce que nous voulons pour nos enfants demain. Celui de l’invisibilité, en nous sensibilisant à ce qui ne se voit pas mais sur quoi il faut agir, comme par exemple la prévention de l’apparition des particules fines. Celui de la vision séparatiste entre l’humain et la nature, en nous invitant à repenser le continuum de la vie – ce qui pourrait se traduire notamment par une représentation politique du vivant. Si la culture de la transition écologique doit d’abord être promue à l’échelle locale et nationale, nous pensons qu’elle peut être le socle d’un nouveau projet pour l’Europe.

Considérons ici la culture comme un ensemble de savoirs, de valeurs, de représentations et de croyances qui favorisent, chez les individus qui la partagent, l’adoption de certains comportements. C’est chacune de ces dimensions qu’il faut promouvoir pour développer un terreau favorable à la transition écologique.

 

Diffuser des savoirs pour faire comprendre les enjeux de la transition

 

La promotion d’une culture de la transition écologique passe d’abord par la diffusion des connaissances. Nous n’agirons que si nous sommes convaincus qu’il faut agir et que notre action peut contribuer à faire changer les choses.

L’école a un rôle central à jouer dans la diffusion des enjeux de la transition. Par le contenu des enseignements d’abord : intégration du développement durable dans les programmes scolaires, généralisation des simulations de négociations sur le climat pour sensibiliser les jeunes à la prise de décision, information des collégiens et lycéens pour les orienter vers de nouvelles filières. Par l’apprentissage des bonnes pratiques ensuite : limitation du gaspillage à la cantine, tri des déchets ménagers en classe, respect de l’environnement pendant les récréations, etc.

L’information passe ensuite par la promotion de documentaires et d’expositions, permettant de comprendre l’urgence. Des films comme « Le cauchemar de Darwin » (Hubert Sauper, 2003) ou « Une vérité qui dérange » (David Guggenheim, 2006) ont ainsi marqué les consciences. Ici le soutien des pouvoirs publics peut prendre diverses formes, depuis la subvention à la production (là où elle est nécessaire) jusqu’à la projection publique et gratuite.

Une fois convaincu, le consommateur devra avoir les moyens d’infléchir son comportement. D’où l’importance de développer des indicateurs pertinents : afficher le contenu carbone des produits (ou un proxy), systématiser les labels pour les produits issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement et du commerce équitable, mieux signaler les fruits et légumes de saison produits à proximité. Quant à ses choix politiques, le citoyen devra penser, au-delà du PIB, à partir d’indicateurs de bien-être intégrant les notions de durabilité et d’équité. Ici le rôle des médias est central pour habituer le public à se référer à un large spectre d’indicateurs de santé économique.

 

Promouvoir des valeurs pour susciter un nouveau projet de société

 

Ce projet est mobilisateur parce qu’il conjugue un idéal à des chantiers concrets. L’idéal, c’est celui d’une société orientée vers un bien-être durable et commun, une société dont la vision du bonheur ne se réduit pas à la propriété et à la consommation. Il suppose une vaste transformation dont chacun peut être acteur, et qui va se manifester très concrètement dans notre quotidien. Le paysage urbain va évoluer autour de petits noyaux urbains denses entourés de poly-agricultures rendant les circuits d’acheminement plus courts. La mobilité connaît déjà de profondes transformations avec l’apparition des vélos et véhicules électriques en libre-service et le recours au train, préféré à l’avion. Nous partageons ainsi la vision de l’économiste Gaël Giraud, pour qui « rénover thermiquement nos bâtiments et logements, innover dans nos modes de déplacement, repenser l’urbanisme, l’aménagement du territoire, les modèles agricoles et industriels, les circuits de distribution (…), c’est, au fond, la mission historique de la jeune génération d’aujourd’hui »[2].

Un renversement de la hiérarchie des valeurs se manifeste déjà à travers l’économie du partage et l’économie sociale et solidaire, signe d’une valorisation de l’usage plutôt que de la propriété (pensons au covoiturage, aux sites de revente ou de troc). Parallèlement, l’économie circulaire se généralise pour éviter le gaspillage.

Pour renforcer la diffusion de ces valeurs, on peut penser à plusieurs pistes. Multiplier et faire connaître les missions « ambassadeur de la transition écologique » proposées au titre du service civique aux jeunes de 18 à 25 ans. Et pourquoi également ne pas faire de la durabilité de notre modèle de développement une valeur de la République, par exemple en en faisant un principe de valeur constitutionnelle, plus mobilisable dans le discours politique que la trop méconnue Charte de l’Environnement ? Alors que la laïcité fait l’objet de débats passionnés, il nous semble que la transition écologique manque d’un principe fédérateur.

 

Développer l’imaginaire de la transition écologique pour faire ressentir l’urgence

 

L’imaginaire est un moteur profond des comportements. Un contact renouvelé avec la nature et des images ancrées dans la mémoire émotionnelle renforcent l’attachement à l’environnement et le sentiment d’une urgence à agir.

Pour commencer, renouveler le contact avec la nature est primordial dans un monde de plus en plus urbanisé. Comment sentir comme tragique la disparition d’espèces animales et végétales sans les avoir côtoyées, observées et avoir appris à les aimer ? La nature en ville ne peut ainsi se limiter à quelques touches de vert : il est essentiel de mettre le citadin en contact avec une nature pas totalement maîtrisée, quasi sauvage, et de reconstituer des écosystèmes complets au travers par exemple des trames vertes et bleues. Au-delà des villes mêmes, l’école peut favoriser ce contact par exemple à travers l’aménagement de potagers. L’enfant découvre non seulement le plaisir de consommer ce qu’il a produit, mais aussi celui d’observer la diversité et le mouvement lent de la nature.  

Pour aller plus loin, ancrer dans les esprits des représentations puissantes, retrouver le sentiment du Beau dans la nature, peut bouleverser les comportements. Les artistes sont sans doute les mieux à même de donner à la transition écologique une expression sensible. On pense par exemple à des images de paysages naturels exceptionnels affichées dans les lieux publics (la première exposition La Terre vue du Ciel de Yann Arthus-Bertrand avait ainsi rencontré un franc succès à Paris en 2000). Pour orienter la création dans le sens de la transition écologique, il ne s’agit surtout pas d’imposer mais de stimuler. On peut s’inspirer ici de l’initiative de Cape Farewell, organisme britannique qui depuis 15 ans emmène des artistes et des scientifiques dans une série d’expéditions dans l’Extrême Arctique afin de susciter le dialogue interdisciplinaire et d’inviter les artistes à relayer, avec les ressources de la création, le message de la transition écologique. De façon similaire, Action contre la faim s’est associé à des artistes pour faire découvrir des quotidiens bien éloignés de nos réalités : Samuel Le Bihan a ainsi pu réaliser un reportage sur la situation en Mongolie des familles rurales contraintes de s’exiler vers les bidonvilles de la capitale à cause des changements climatiques[3].

 

Mieux communiquer pour catalyser le changement des comportements

 

Ayant permis de comprendre l’intérêt de la transition écologique, de susciter l’engagement autour de valeurs communes et de développer une sensibilité aux enjeux par l’imaginaire, la culture de la transition écologique doit catalyser les comportements vertueux. Cela passe par une meilleure communication, montrant que la participation à ce grand changement est simple, ludique et populaire.

Simple, parce qu’elle est incrémentale et qu’elle fait du bien. Ce sont d’abord ces gestes déjà passés dans notre quotidien – trier ses déchets, recourir aux détecteurs de présence, utiliser des boutons doubles pour les chasses d’eau – qu’il convient de mieux célébrer.

Rappeler par exemple que le recyclage de deux bouteilles de verre par semaine permet d’éviter 22 kg de CO2 par an, l’équivalent de 135 km d’une voiture particulière[4]. C’est en se rendant compte du chemin parcouru sans effort qu’on est encouragé à poursuivre. Par ailleurs, il est essentiel de montrer que ces nouveaux comportements font du bien, et en particulier que sobriété n’équivaut pas à privation, autrement dit que l’écologie n’est pas réservée aux ascètes.

Ludique, parce qu’elle nous invite à adopter et à imaginer en permanence de nouveaux usages. C’est particulièrement vrai lorsque ces usages sont associés à un contexte de loisir, comme ces événements culturels qui s’inscrivent dans une démarche de respect de l’environnement (tri sélectif des déchets, incitation au covoiturage, toilettes sèches). Certains éco-festivals font même de la pédagogie avec des poubelles géantes, des concours de lancers de déchets, une consommation offerte pour 50 gobelets ramassés, un jeu de l’oie géant sur le développement durable[5]. De telles animations pourraient être étendues à l’espace public, par exemple à travers des bornes connectées proposant des jeux sur le développement durable qui permettraient de récréer du lien social autour de la transition écologique.

Populaire, parce que chacun doit pouvoir s’approprier le projet de la transition. Cette appropriation est facilitée lorsque la transition est incarnée. C’est ce que défend Pierre Rabhi, qui habite cette « sobriété heureuse », libératrice des désirs de possession et d’accumulation, qu’il propose comme projet à chacun. Cette fonction de rôle-modèle est également exercée par des personnalités médiatiques comme Leonardo DiCaprio ou Marion Cotillard, dont l’engagement peut être une source d’inspiration et contribue à rendre la cause du développement durable plus attractive.

Synthèse de cette vision simple, ludique et populaire, la transition écologique pourrait faire l’objet d’une évaluation annuelle, où l’on mesurerait les effets des actions engagées par le gouvernement, les entreprises et les citoyens. Nouveau rituel de la transition, une journée serait consacrée à la communication des résultats avec une large couverture médiatique (un curseur géant sur la Tour Eiffel pour mesurer la distance à l’objectif ?). Les citoyens seraient aussi invités individuellement à évaluer leur contribution de l’année à la transition (nombre d’avions pris, consommation électrique, etc.). Et pourquoi ne pas afficher l’ambition de la France et le chemin parcouru dans les grands lieux d’entrée sur le territoire, pour partager avec nos visiteurs ce grand projet de société ?

 


[1] 80% selon l’enquête Eurobaromètre de 2014 sur l’attitude des citoyens européens à l’égard de l’environnement (dont 33% « totalement d’accord »).

[2]Gaël Giraud, Le Monde, 18.09.2013.

[4] Ecoemballages.fr.

[5] Cf. Festival Quartiers d’été à Rennes (« Musiques, développement durable et solidarité », irma.asso.fr).

 

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