Par Florian BERCAULT, Mehdi MAHAMMEDI-BOUZINA et Grégoire POTTON

 

L’entreprise du XXIème siècle, lieu de dynamisme et d’innovation, sera le moteur de la transition écologique, en inventant de nouveaux processus de production plus économes et de nouvelles façons de consommer plus durables.

A l’occasion de la 10e édition des Mardis de l’Avenir à l’Assemblée nationale, consacrée aux « Entreprises, moteur et acteur de la mutation écologique de nos sociétés », Florian Bercault, Mehdi Mahammedi-Bouzina et Grégoire Potton proposent aux pouvoirs publics d’accompagner cette démarche en accordant aux entreprises moteurs de cette transition un avantage en terme de fiscalité.

 

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A Davos, lors du Forum économique mondial, le Président François Hollande a appelé l’entreprise et le monde de la finance à « investir massivement dans l’économie verte ». Il a invité les entreprises du monde entier à s’engager en participant à l’Agenda des Solutions et en jouant un « rôle majeur » dans les négociations de la COP21. Et a ajouté : « la transition énergétique (…) est aussi une opportunité, c’est une capacité de croissance que nous pouvons maintenant développer. (…) Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’après-carbone avec toutes les mutations qui vont être maintenant en cascade (…) c’est toute notre économie qui va changer si nous avons la volonté d’accélérer le temps, d’accélérer le cours de nos décisions ».

Partie de l’écosystème « monde », l’entreprise constitue un des acteurs moteurs de la transition écologique, dont la nécessité n’est plus contestée. Bien qu’elle soit schématiquement considérée par la théorie économique comme une fonction maximisatrice, l’entreprise reste fonctionnellement une unité de production qui répond à une demande de marché. Cependant, comme le soulignent Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, « l’entreprise devrait aussi être une communauté d’investissement des énergies et des rêves, dont on attend en retour un statut social et des promesses d’avenir ».

L’entreprise est, par nature, basée sur des dynamiques d’ambition collective issues d’un travail partagé. A l’heure du crowdsourcing, de l’innovation permanente et de l’entrepreneuriat 2.0, des innovations d’usage, de nouveaux procédés, des évolutions sociales ou des ruptures dopent la croissance, et relèguent au passé les logiques productivistes fordo-tayloristes. L’économie du XXIème siècle cherche sans cesse du souffle et se trouve en perpétuelle reconversion, reconstruction, révolution. Le cœur de notre système économique bat au rythme de la compétition mondiale et respire grâce au progrès technologique.

Partie du monde et le façonnant, l’entreprise a des responsabilités qui dépassent ses propres intérêts. Sa survie dépend directement de son environnement au sens large. Pour vivre, créer, produire et prospérer, elle a besoin des ressources énergétiques et d’un personnel compétent et formé. Or ces ressources tendent à fondre comme la calotte glaciaire. Limitées et non équitablement réparties sur le globe, elles suscitent toutes les convoitises et engendrent parfois des conflits. Aussi, il est grand temps de prendre conscience de la responsabilité mondiale des entreprises – petites, moyennes ou grandes – à lutter contre le réchauffement climatique et à faire advenir un monde dé-carboné. L’entreprise, tout comme l’Etat et les citoyens, doit être acteur du progrès. Elle est un potentiel d’actions qu’il convient d’orienter dans la bonne direction. Qu’on le veuille ou non, les entreprises, gérées par des hommes et des femmes entreprenants, demeurent des moteurs de la transformation économique, sociale et qui plus est environnementale.

 

La transition écologique au service du financement de la protection sociale

En raison d’un chômage de masse persistant, une partie des pays de l’Union Européenne tels que la France, l’Italie ou le Royaume-Uni, connaissent des difficultés croissantes pour financer leurs protections sociales. Dans le même temps, les pays émergents améliorent rapidement leur productivité du travail et exercent ainsi une pression constante sur l’ensemble des coûts de production et notamment celui du travail.

Pour répondre à ce défi, les gouvernements des pays de l’Union européenne se sont progressivement engagés dans une spirale de réduction du coût du travail, afin d’être plus compétitifs à l’exportation et de diminuer le chômage sur leurs territoires. Un Etat surtout, l’Allemagne, en raison de la puissance de son industrie exportatrice, basée notamment sur la machine-outil, a réussi à tirer son épingle du jeu, mais la majorité des pays engagés dans cette dynamique, la France, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce pour n’en citer que quelques-uns, n’ont pour l’instant pu en tirer de bénéfices notables.

Pour parvenir à restaurer leurs compétitivités et pour préserver leurs mécanismes de protections sociales, les pays membres de l’Union européenne doivent adopter une autre démarche. La transition écologique offre la possibilité d’établir un nouveau paradigme économique : financer la protection sociale par la taxation des intrants destructeurs de l’environnement.

En effet, d’une part, l’épuisement des ressources naturelles, de nos réserves d’énergies fossiles et de nos nappes phréatiques présente un coût important et croissant pour la collectivité. Ce coût est d’ailleurs loin d’être couvert par celui de l’extraction et de la consommation de ces ressources. D’autre part, il est nécessaire de dégager des marges de manœuvre pour financer notre protection sociale tout en abaissant le coût du travail. Enfin, pour mettre fin à la concurrence fiscale qu’exercent entre eux les pays de l’Union européenne, il est urgent d’harmoniser les règles et les taux de fiscalité au sein de l’Union.

C’est pourquoi les institutions de l’Union européenne doivent engager de plein pied de manière concomitante l’harmonisation de la fiscalité des entreprises sur la base d’un transfert des charges pesant sur le travail vers la production et la consommation des ressources énergétiques et naturelles dans les processus de production.

Ainsi, une entreprise dont l’essentiel de la production de valeur ajoutée repose sur l’utilisation de la matière grise de ses salariés sera moins imposée qu’actuellement, alors que celle exploitant essentiellement des ressources non renouvelables dans son processus de production le sera un peu plus. Avec la taxe carbone, le législateur français semble s’engager dans cette voie. Cependant, les émissions carbonées ne sont qu’une partie des intrants écologiquement néfastes, au même titre que les engrais phosphatés ou la surexploitation des sables.

 

Réévaluation annuelle et échelle européenne : les piliers de la fiscalité verte des entreprises

Il faut cependant se garder de tout simplisme, et ne pas sous-estimer la difficulté de mise en œuvre d’une telle ambition.

Tout d’abord, la fiscalité reposant sur les facteurs de production, dont le travail, ou la valeur ajoutée, a pour avantage d’être lisible et relativement constante d’une année sur l’autre, abstraction faite des variations du produit intérieur brut (PIB).

Inversement, une fiscalité basée sur les ressources énergétiques et fossiles constitue une incitation forte à modifier les comportements : les entreprises assujetties à ce type de fiscalité auront donc tendance à modifier leurs processus de production pour minimiser la taxation. Ainsi, de par son objet, la fiscalité écologique a vocation à avoir un rendement décroissant.

C’est pourquoi, en transférant une partie des charges pesant sur le travail vers la consommation de matières premières, les Etats de l’Union européenne prendront le risque d’affaiblir un moyen de financement de la protection sociale relativement pérenne au profit d’un moyen de financement beaucoup plus fluctuant. La mise en œuvre de ce paradigme nécessitera donc, de la part des pouvoirs publics, une réévaluation annuelle extrêmement fine pour ne pas mettre en danger les moyens de financement de la protection sociale des pays de l’Union européenne.

En outre, la mise en place d’une fiscalité des entreprises écologique doit être l’occasion de procéder à la nécessaire harmonisation fiscale entre membres de l’Union européenne. Ce chantier permettra de redonner un nouvel élan à cette Union à l’heure où beaucoup de citoyens s’en défient.

 

Un exemple concret d’application

De manière concrète, prenons l’exemple d’une entreprise possédant une usine de production de peintures installée en France. La mise en application de la doctrine précitée pourrait se traduire par un surcroît de taxes dues au titre de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes), qui seraient généralisées et couvriraient l’ensemble des intrants écologiquement néfastes. En contrepartie, les charges sociales sur le travail baisseraient, de sorte qu’il serait très rentable pour l’entreprise d’embaucher des ingénieurs pour développer de nouveaux modes de production écologiquement sobres. Ainsi, cette entreprise sera, à son niveau, l’un des moteurs de la transition écologique.

 

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L’entreprise du XXIème siècle, lieu de dynamisme et d’innovation, sera le moteur de la transition écologique, en inventant de nouveaux processus de production plus économes et de nouvelles façons de consommer plus durables.

En dépit des difficultés actuelles, les pouvoirs publics doivent accompagner cette démarche en accordant aux entreprises moteurs de cette transition un avantage en terme de fiscalité. Pour ce faire, les charges des entreprises doivent moins peser sur le travail que sur les intrants présentant un impact environnemental important. Certes, la mise en œuvre de ce transfert de charges présente certains défis à relever, mais elle permettra, à terme, d’encourager le changement dans l’entreprise, moteur du changement dans la société.

 

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