Par Mehdi MAHAMMEDI-BOUZINA, ingénieur spécialisé en propriété industrielle

 

Télécharger en pdf

Lire la tribune publiée sur le site du HuffingtonPost

 

Les 23 et 30 mars derniers, les Français ainsi que les étrangers originaires d’un pays de l’Union Européenne ont élu leurs conseils municipaux pour les 6 années à venir. Le 25 mai prochain, les électeurs communautaires de l’Union Européenne éliront, quel que soit leurs lieux de résidence intracommunautaire, leurs 751 députés. Ainsi, en France, à l’occasion des deux échéances électorales de l’année 2014, le corps électoral était plus large que celui des citoyens français, et ce, sans que personne ne s’en émeuve. Comme le montrent ces exemples, la citoyenneté et le droit de vote sont deux notions distinctes, même si la première implique la seconde. Cependant, 1,8 million de résidents, qui participent à la vie de la cité, au même titre que les étrangers communautaires, sont encore privés du droit de vote aux élections locales.

« J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans », tel était l’engagement n°50 du candidat François Hollande en 2012.Alors que nombre de pays accordent un droit relativement similaire en Europe et dans le monde, à l’image de nos voisins belges et suédois, cette promesse de François Hollande n’en finit plus de nourrir craintes et fantasmes. Pourtant, loin de favoriser le communautarisme, la réalisation de cet engagement, sans être une solution miracle, ira au contraire dans le sens d’une France unie et apaisée. D’une part, elle permettra d’affaiblir les tentations communautaires en donnant voix au chapitre à l’ensemble des individus qui contribuent à notre destin commun. D’autre part, elle contribuera également à redonner du sens et de la crédibilité à la parole politique en ce qu’elle serait la réalisation d’une promesse dument annoncée durant la dernière campagne présidentielle. Enfin, elle peut être le fer de lance d’une reprise en main du débat sur l’immigration par la gauche et un pendant pertinent au débat sur l’identité nationale voulu par l’ancien président Sarkozy.

 

Un levier de lutte anti-communautariste

 

L’octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales sera un puissant vecteur de lutte contre le communautarisme même si cette promesse a souvent été agitée comme un épouvantail par la droite et l’extrême droite. A titre d’exemple, durant la campagne pour les dernières élections législatives, Jean-François Copé avait déclaré le 10 mai 2012, sur France 2, interrogé sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, que les législatives étaient une « vraie occasion de rééquilibrer les choses, d’éviter à toute force ce qui serait à mon sens une catastrophe pour la cohésion nationale ». Un argument classique de l’UMP et du FN est en effet que l’ouverture du droit de vote aux étrangers non citoyens d’un pays de l’Union européenne favoriserait le communautarisme.

Mais, en faisant participer les étrangers aux consultations électorales sur la vie de la cité, le droit de vote des étrangers non originaires de l’UE va au contraire permettre de lutter contre le repli communautariste en réduisant les inégalités de droits entre étrangers et Français. En effet, le communautarisme, valeur allant à l’encontre de notre pacte républicain, est la séparation organisée des groupes, sociaux, ethniques ou religieux. En permettant aux étrangers de voter aux mêmes élections et pour les mêmes partis que les nationaux lors des élections locales, ce droit nouveau est précisément un levier d’action anti-communautariste.

De même, permettre aux étrangers de se prononcer sur les projets collectifs proposés par les différents partis, à l’occasion des élections locales, va dans le sens d’une intégration plus poussée. Le communautarisme se nourrit des barrières entre groupes sociaux. En détruisant ces barrières, on affaiblit le risque de repli sur soi communautaire. En Belgique ou en Suède, le rapport de force politique a été peu modifié par l’octroi du droit de vote aux étrangers non originaires d’un pays de l’Union européenne. Ainsi, lorsque l’ensemble des Français et étrangers s’apercevront qu’ils ont les mêmes préoccupations et déterminants électoraux, les possibles tentations communautaires seront affaiblies.

Des voix, à l’instar de celle de Didier Maus, président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel, s’élèvent également pour exprimer leur accord avec le droit de vote des étrangers aux élections locales mais sous réserve de réciprocité. Ceux-là doivent comprendre que la République Française n’est pas un marchand de tapis qui troque ses valeurs et les droits qu’elle accorde avec les autres pays. Le droit de vote aux élections locales françaises est une affaire française ayant pour but de favoriser l’intégration des étrangers sur le sol français.  

 

Redonner du sens à la parole politique

 

De plus, alors que la classe politique est décrédibilisée et que l’abstention aux dernières municipales a atteint le taux record de 38,5 % au second tour, la réalisation d’une promesse de campagne d’un candidat élu est de nature à renforcer la confiance portée en la parole politique, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une promesse datant de 1981 (!).

Aux dernières élections municipales, l’abstention de gauche a été prédominante. Les électeurs qui ont crû en François Hollande, désabusés, ne se sont pas déplacés. S’il est évidemment excessif de considérer que l’octroi du droit de vote aux étrangers aurait évité une telle désillusion, l’abstention notamment dans les zones urbaines sensibles doit interroger le gouvernement. A titre d’exemple, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), ville populaire qui a basculé à droite, l’abstention a atteint 49,30% au second tour.

Certes, le gouvernement se bat avec énergie sur les thématiques économiques, comme le montrent l’instauration du pacte de stabilité et de solidarité, la loi de séparation bancaire ou la création à l’échelle européenne d’une union bancaire. Mais ces mesures techniques, dont on peut par ailleurs discuter du bien-fondé, n’ont pas d’impact immédiat et évident pour la vie des Français. A l’inverse, l’octroi du droit de vote aux étrangers est une mesure simple à appréhender ayant un impact facilement identifiable. Il contribuerait donc à donner une incarnation à l’action gouvernementale et donc, in fine, du sens à cette dernière.

 

L’occasion d’un discours offensif de gauche sur l’immigration

 

Si la droite a pu saisir de la question du vote des étrangers et en faire un argument massue, c’est parce que depuis 2002, et l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, elle mène le débat en matière d’immigration. La gauche, tiraillée entre un nécessaire réalisme et l’affirmation de ses valeurs humanistes, n’a pas su reprendre la main sur ce débat. De plus, en cette période de crise et de défiance envers nos institutions, il est vrai qu’un discours ferme sur l’immigration peut rassurer la population. La crispation autour de la question de l’immigration a atteint son point d’orgue à l’occasion du piètre débat sur l’identité nationale organisé par la précédente majorité. En octobre 2009, deux après son élection, connaissant des difficultés politiques, M. Sarkozy recherchait alors surtout une échappatoire.

Et si, en 2014, deux ans après son élection, M. Hollande avait le courage d’apporter une réponse progressiste à cette question de l’identité nationale ? D’affirmer que, plus que jamais, la France est un pays d’intégration ? De renvoyer la droite à ses archaïsmes ? Sur la question de l’immigration, la gauche ne doit plus s’excuser de ses convictions et se laisser dicter les termes du débat par la droite.

Douze ans après la défaite de M. Jospin en 2002, il est temps que la gauche réaffirme avec force une conception progressiste de l’identité nationale et de la place de l’étranger dans notre société. La France doit être considérée comme un pays d’immigration et d’intégration. La finalité de l’intégration est bien entendu la naturalisation. Mais dans ce long et émouvant processus qu’est l’intégration, l’accession au droit de vote aux élections locales est une étape symboliquement importante.

Certains sont tentés d’opposer l’augmentation du nombre de naturalisations depuis la victoire de François Hollande à l’adoption du droit de vote pour les étrangers. Mais au contraire, ces deux mesures vont dans le même sens : celui de permettre l’intégration progressive des étrangers s’installant en France. L’intégration est un processus qui passe par la reconnaissance des valeurs de la République mais aussi par la participation aux projets communs, notamment par le vote.

Certains considèrent pourtant qu’après le débat long et houleux sur le mariage pour tous, il est peu opportun d’ouvrir, en temps de crise économique, un nouveau débat politique sociétal. Or, c’est précisément l’honneur d’une nation que de faire progresser le droit de ses minorités, y compris en période de crise. Il est à l’honneur du gouvernement d’avoir eu le courage d’établir le droit au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe au plus fort de la crise. Il serait de même à l’honneur de la société française d’accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers non citoyens d’un Etat de l’Union européenne.

 

La mesure à adopter

 

Le candidat Hollande prévoyait d’octroyer le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant depuis au moins cinq ans en France. Cette condition de durée est raisonnable car elle assure que les néo-électeurs aient acquis une certaine connaissance des conditions de vie dans notre pays et ainsi des enjeux socio-économiques attenants.

Pour adopter cette mesure, deux voies sont possibles : le référendum et la convocation du Congrès. La première voie est à éviter en raison du climat politique délétère actuel : un référendum, quel qu’en soit le sujet se transformerait à coup sûr en plébiscite pour ou contre le Président Hollande. La seconde voie est politiquement risquée mais pourrait s’avérer payante. En proposant au Congrès d’adopter cette mesure issue de son programme, le Président Hollande placerait ainsi les parlementaires, notamment ceux du centre qui n’ont eu de cesse ces dernières années de vouloir se démarquer de la « droitisation » de l’UMP, en face de leurs responsabilités. Si le Congrès adopte la mesure, M. Hollande en sortira renforcé. Sinon, il aura au moins eu le mérite d’accomplir un acte de courage, qualité que les Français recherchent auprès de leur classe politique. Etant donné la conception gaullienne et quasi-monarchique de la fonction présidentielle qu’ont encore un grand nombre de Français, un Président de la République ne s’abaisse jamais à être courageux comme le montre l’exemple mitterrandien sur l’abolition de la peine de mort, aujourd’hui unanimement salué.

Bien sûr, en raison du marasme économique dans lequel la France se débat, il est peu judicieux de croire que l’octroi du droit de vote aux étrangers anéantira toute tentation communautaire, aura un effet massif sur l’abstention de gauche aux prochaines élections et permettra aux forces progressistes de dominer le débat politique sur l’immigration. Toutefois, si les bénéfices découlant de l’adoption de cette mesure ne doivent pas être surestimés, ils ne doivent pas non plus être sous-estimés. Il s’agit là d’une proposition juste renforçant la cohésion nationale, notre capacité à vivre ensemble et de plus politiquement pertinente. C’est pourquoi, ni la société française ni la majorité gouvernementale ne doivent craindre le débat sur le droit de vote des étrangers.

 

Télécharger en pdf

Lire la tribune publiée sur le site du HuffingtonPost