Par Jean-Christophe Ménard

 

A l »occasion de la 16e et dernière édition des , sur le thème « Comment faire évoluer le droit pour mieux protéger l »environnement », Jean-Christophe Ménard pose les bases d »une nouvelle forme de responsabilité en cas de préjudice environnemental.

Reconnaître que l’environnement puisse subir un dommage impose de repenser les modalités traditionnelles de la réparation. Car, lorsqu’il s’agit de préjudice à l’environnement, la réparation pécuniaire ne suffit plus. Elle doit être, prioritairement, « en nature ». A la veille de la COP 21, la France se doit donc d’être à la hauteur des enjeux et proposer, dans son prochain projet de loi sur la responsabilité environnementale, un nouveau dispositif ambitieux et innovant.

 

Télécharger la note

 

Reconnaître dans la loi la notion de « préjudice environnemental » est bien plus qu’une question juridique. C’est bien plus encore qu’un choix de politique publique. Inscrire dans la loi la notion de préjudice environnemental, c’est considérer l’« environnement » comme une entité à part entière. C’est admettre, également, que toute pollution – qu’elle soit aquatique, terrestre ou atmosphérique – engage la responsabilité de celui qui en est à l’origine à l’égard non pas d’une personne ou d’un groupement, mais de l’humanité toute entière. Enfin, reconnaître que l’environnement puisse subir un dommage impose de repenser les modalités traditionnelles de la réparation. Car, lorsqu’il s’agit de préjudice à l’environnement, la réparation pécuniaire ne suffit plus. Elle doit être, prioritairement, « en nature ».

A la veille de la COP 21, la France se doit donc d’être à la hauteur des enjeux et proposer, dans son prochain projet de loi sur la responsabilité environnementale, un nouveau dispositif ambitieux et innovant.

 

L’atteinte à l’environnement est une « agression » contre la collectivité

 

La Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, et le juge reconnaissent l’existence d’une interdépendance entre l’homme et son milieu naturel. De cette relation est née une forme inédite de responsabilité qui impose à la France de se doter de nouveaux outils visant à garantir la réparation de l’environnement contre les atteintes qui lui sont portées.

 

L’environnement est un « patrimoine commun » à l’humanité

 

L’une des particularités du préjudice causé à l’environnement est d’échapper au triptyque classique de la responsabilité : une victime, un juge, un défendeur. Dans le cas du préjudice environnemental, l’atteinte ne concerne pas un bien ou une personne, mais « l’environnement », c’est-à-dire ce milieu naturel défini dans le préambule de la Charte de l’environnement comme « le patrimoine commun des êtres humains » dont la préservation « doit être recherchée au même titre que les intérêts fondamentaux de la Nation ». « Toute personne, poursuit l’article 4 de la Charte, doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement ».

La Charte de l’environnement consacre ainsi l’existence d’une écologie universelle et la dépendance de l’humanité à l’égard du milieu naturel dans lequel elle évolue (F.-G. Trébulle, 2015). Lors du procès de l’Erika, la cour d’appel de Paris conclut d’ailleurs qu’il découle de cette interdépendance que « toute atteinte non négligeable au milieu naturel constitue une agression pour la collectivité des hommes qui vivent en interaction avec lui et que cette agression doit trouver sa réparation » (CA Paris, 30 mars 2010).

Lorsqu’il s’agit d’atteintes à l’environnement, la réparation est donc possible même en l’absence de préjudice subi par des personnes, physiques ou morales. C’est là l’une des originalités du préjudice environnemental, c’est également une source de difficultés.

 

Se doter d’outils à la hauteur des enjeux environnementaux

 

La particularité du préjudice environnemental est qu’il implique, dans l’hypothèse d’une pollution, une expertise technique pour déterminer le degré de dégradation du milieu naturel et les moyens nécessaires à sa remise en état. A cette technicité s’ajoute en outre le coût de ces opérations d’évaluation. Or, ni des parties à un procès ni un organisme comme l’ADEME ne disposent des moyens financiers suffisants pour réaliser ces expertises ou financer le suivi, sur plusieurs années, des opérations de remise en état. Cette difficulté est accrue dans le cas des dommages environnementaux dont les conséquences ne se manifestent que plusieurs années après leur réalisation.

Aux Etats-Unis, le Comprehensive Environmental Response Compensation and Liability Act confie à une agence indépendante le soin d’identifier les auteurs d’une pollution et de les contraindre à remettre le site contaminé en état.

Dans le même ordre d’idées, le projet de loi à venir sur la responsabilité environnementale ne pourra se limiter à reconnaître l’existence du préjudice environnemental. Cartes sur Table appelle à ce qu’une réflexion soit également menée sur la création d’un fonds destiné à financer les expertises techniques et, en l’absence d’identification de l’auteur d’une pollution, à remettre le site en état. Ce fonds pourrait être géré soit par la Caisse des dépôts et des consignations, soit par une nouvelle autorité publique indépendante chargée de veiller à la réparation et à la préservation de l’environnement.

 

Pour une réparation environnementale « intégrale »

 

Chaque fois qu’elle est possible, la réparation du milieu naturel doit être privilégiée et tendre vers une « restauration environnementale intégrale ». Ce n’est qu’ultimement, lorsque l’atteinte à l’environnement est irréversible, que le préjudice environnemental doit faire l’objet d’une compensation financière.

 

La réparation strictement pécuniaire : le recours ultime

 

Il serait déraisonnable de penser que la réparation environnementale puisse être obtenue par le seul versement d’amendes civiles, aussi élevées soient-elles. Car les atteintes à l’environnement ne peuvent faire l’objet d’une réparation par équivalence pécuniaire, sauf à glisser vers une déresponsabilisation des pollueurs et à une « monétarisation de l’environnement » (Commissariat Général au Développement Durable, 2010).

Confronté à un préjudice environnemental, le juge, ou la haute autorité qui serait chargée de veiller à la préservation de l’environnement, doit d’abord veiller à supprimer la cause du dommage ou, tout du moins, à ce que l’atteinte à l’environnement cesse.

Comme le préconise le Club des juristes, ce n’est qu’en toute dernière extrémité – c’est-à-dire lorsque le préjudice est irréversible –, que le versement à l’Etat de dommages et intérêts doit être envisagé et se substituer à la réparation en nature (Club des juristes, 2012).

 

Privilégier une réparation prioritairement « en nature »

 

La réparation du préjudice environnemental doit avoir pour objectif de replacer le milieu naturel dans la situation où il était avant la survenance du fait dommageable. Le principe doit donc rester celui de la réparation en nature. Cette solution est d’ailleurs privilégiée tant dans la proposition de loi déposée le 23 mai 2012 visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil que dans l’avant-projet de loi du ministère de la Justice relatif à la responsabilité environnementale.

Toutefois, aucun de ces textes ne définit les modalités de réparation du préjudice écologique.

Les mesures de remise en état, chaque fois qu’elles sont possibles, doivent être prescrites par le juge et leur suivi assuré par une autorité publique indépendante. Quant à leur financement, la logique voudrait qu’il incombe exclusivement à l’auteur du dommage selon le principe dit du « pollueur-payeur ». Cependant, il semble préférable d’exiger une contribution réaliste du pollueur, complétée par l’intervention d’un fonds d’indemnisation spécifique, plutôt que de lui infliger l’intégralité du coût d’une dépollution qu’il serait dans l’incapacité de financer.

 

Télécharger la note