Par Erwann PAUL et le groupe Santé de Cartes sur table

 

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Le projet de loi de santé s’inscrit dans la « stratégie nationale de santé » lancée par Marisol Touraine en septembre 2013. Présenté le 15 octobre en Conseil des ministres, il doit être examiné au Parlement au début de l’année 2015. Dans la perspective du débat parlementaire, Cartes sur Table en livre son analyse.

 

Le projet de loi doit répondre aux principaux défis qui attendent le système de santé.

 

Le projet s’inscrit dans un processus continu de réforme du système de santé : loi Kouchner de 2002 (droit des malades) ; introduction de la tarification à l »activité (T2A) et d’une gouvernance simplifiée par pôles en 2005 ; loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (HPST) en 2009 ; et généralisation des complémentaires santé pour les salariés en 2013.

Cette nouvelle réforme suscite de nombreuses attentes. Le système de santé français est riche de nombreux atouts, mais certaines de ses insuffisances sont établies de longue date : manque d »ambition des politiques de prévention, parcours insuffisamment coordonné de l’usager, progrès à réaliser en matière de démocratie sanitaire. Les dépenses nationales en faveur de la prévention demeurent inférieures à la moyenne des pays de l »OCDE (2,1% contre 2,9%). Deux millions d’enfants ont des difficultés d’accès au système de soins.

Dans son rapport de juillet 2014, Cartes sur Table a formulé plusieurs propositions pour faire du patient un acteur de son parcours de santé.

Nous proposons que l’autonomie du patient dans le système de santé soit au cœur de toute nouvelle réforme. C »est autour du patient et de ses besoins que le système doit s »organiser.

Favoriser l »autonomie des individus est l »objectif des politiques progressistes. En matière de santé, cette ambition justifie que l »intérêt du patient prime plus systématiquement sur les préoccupations historiques, administratives ou territoriales.

Selon nous, la prise en charge doit être réorganisée autour d’un triptyque : la prévention (l’avant soin), le cure (le soin), et la convalescence (l’après soin). Afin que les patients soient de véritables acteurs des transformations du système, il faut parallèlement impulser un renouvellement de la démocratie sanitaire, fondée sur une connaissance partagée et plus précise des enjeux (par l’open data, notamment). Enfin, l »évolution du rôle des organismes complémentaires appelle une véritable refondation de la couverture maladie, pour qu »elle soit et reste accessible à tous.

 

Le projet de loi contient plusieurs évolutions significatives, mais manque d »une vision de long terme.

 

L »effort important pour la prévention est à saluer, mais il ne mobilise pas pleinement les acteurs du système.

 

Le projet de loi contient plusieurs mesures favorables à la structuration d »un véritable parcours de santé : lettre de liaison à chaque sortie de l’hôpital, extension du mécanisme du médecin traitant aux 0-16 ans, programmes personnalisés de soins pour les personnes souffrant de pathologies chroniques. En matière de prévention, il cible trois priorités : les jeunes, les maladies chroniques (obésité, diabète) et les addictions. Le projet de loi s »attaque, ainsi, à l »épidémie d »obésité par la création d’un outil de visualisation de la qualité nutritionnelle des produits alimentaires industriels. Enfin, il réorganise le paysage des agences sanitaires en créant un institut pour la prévention, la veille et l’intervention en santé publique.

L »accent mis sur la prévention doit être salué. Il rejoint la volonté de Cartes sur Table de voir adopter une approche préventive plus systématique. Aller plus loin est possible. La lutte contre le diabète et l »obésité aurait par exemple justifié l »affichage d »un score nutritionnel à plusieurs couleurs sur l »emballage des produits alimentaires, afin de mieux informer les consommateurs. La réforme ne pose pas, par ailleurs, la question du rôle que pourraient avoir les organismes complémentaires en matière de prévention. Or, leur implication dans le parcours du patient et dans la prévention est l’un des enjeux structurants des années à venir. Par ailleurs, nous souhaitons une meilleure coordination du parcours du patient entre sanitaire et médico-social. Pour cela, la prise en charge des personnes âgées et handicapées doit être clairement confiée aux ARS, dans le cadre de Schémas Régionaux de l »Autonomie. En outre, la question du financement de la prise en charge sur le temps long n »est pas posée. Pour y répondre, nous suggérons de créer un nouveau cadre de financement de la prise en charge des maladies chroniques, qui remplacerait le régime des affections longue durée (ALD).

 

Le projet de loi renforce considérablement la démocratie sanitaire, mais adopte une approche qui n »est pas suffisamment territorialisée.

 

Le projet de loi contient des avancées importantes en matière de gouvernance et de démocratie sanitaire. Il renforce ainsi la capacité des Agences Régionales de Santé (ARS) à répartir les activités et les budgets. Par ailleurs, le projet donne une place accrue aux usagers en introduisant des représentants au sein des commissions exécutives des agences sanitaires, par la création d’une commission des usagers dans les établissements de santé, et par la participation de ces derniers aux réformes via la diffusion d’un white paper sur Internet pour chaque nouvelle réforme. Enfin, la démocratie sanitaire est renforcée par l »open data : mise en place d »un service public de l »information en santé, création du GIP « Institut national des données de santé ».

Ces évolutions sont positives. Nous proposons d’aller plus loin en matière de consultation des usagers, en créant au niveau national un Conseil des patients adossé à l’UNCAM. Un débat doit par ailleurs être ouvert sur l »articulation entre démocratie sanitaire et démocratie politique dans les territoires. Pour favoriser l’expression des patients sur le système de santé, nous souhaitons une démocratisation des ARS par la création d’une direction dédiée à la démocratie sanitaire dans chaque Agence. Quant à la démocratie politique, elle doit trouver sa place par l »amplification et le développement des contrats locaux de santé permettant à une collectivité territoriale (commune, intercommunalité) d »adopter en lien avec l »ARS une approche globale de santé publique à l »échelle d »un territoire.

 

L »évolution du rôle des complémentaires et les difficultés de financement appellent un nouveau partage du risque, plus favorable à l »accessibilité de tous les patients à des soins de qualité

 

Afin d’être pleinement acteur de son parcours de santé, le patient doit être en mesure d’accéder aux soins. Le projet de loi prévoit ainsi le déploiement du tiers-payant d’ici 2017 et la lutte renforcée contre les refus de soins. Nous militons pour l’ouverture de droits opposables afin de renforcer le droit d’accéder aux soins. Cette inversion de la charge de la preuve garantirait aux bénéficiaires de la CMU-C ou de l’AME l »accès au système de santé.

À moyen terme, l »accès aux soins risque, cependant, d »être remis en cause par l »évolution du rôle des complémentaires et les difficultés de financement. Nous souhaitons remplacer le régime actuel des ALD, qui exonère du ticket modérateur les patients atteints de certaines pathologies, par une prise en charge à 100% des dépenses des moins de 18 ans et des plus de 65 ans. En parallèle, une réflexion doit avoir lieu sur le rôle des organismes complémentaires (Ocam) dans l’accès à des dispositifs et soins à moindre coût. Cartes sur Table propose de mieux réguler le secteur des Ocam (définition de contrats repères) et de changer leur cadre d’intervention pour favoriser la maîtrise des dépenses, tout en améliorant la qualité de l »offre à l »aide d »outils incitatifs (développement et labellisation des réseaux de soins, liens avec les permanences d’accès aux soins de santé, etc.).

 

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