Par Jean-Christophe MENARD (avocat au Barreau de Paris, docteur en droit, Maître de conférences à Sciences Po Paris)

 

Après le non-cumul des mandats (Acte I), la réforme du financement de la vie politique (Acte II), Cartes sur Table présente son troisième et dernier acte pour un réformisme « de crise ».

 

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Acte III : Intérêt général, intérêts particuliers : zéro conflit !

 

Le projet de loi de moralisation de la vie publique sera présenté en conseil des ministres le 24 avril. L’un des volets de cette loi portera sur la prévention des conflits d’intérêts. « La prévention des conflits d’intérêts », sans aucun doute le volet le plus sensible de ce texte. Volet sensible car il révèle les « parts d’ombre » de certains élus, les « parts d’ombre » de certains fonctionnaires et les « parts d’ombre » de certaines professions du secteur privé. Volet sensible certes, mais indispensable. Indispensable car les citoyens ne croient plus en la probité et l’exemplarité de leurs représentants. Et c’est cet impératif de probité et d’exemplarité qui rend nécessaire un nouveau régime d’incompatibilités et un renforcement des mécanismes de contrôle et de sanction.

D’abord, ce sont deux sortes de conflits d’intérêts que la loi de moralisation de la vie publique doit appréhender. Le premier concerne le cumul des fonctions de membres du Gouvernement avec celles de dirigeant d’un parti politique ou d’une association percevant des dons ouvrant droit à déduction fiscale. Actuellement, aucune disposition ne l’interdit. Et ce vide juridique avait permis qu’en 2010, un ministre chargé du budget soit, dans le même temps, trésorier du parti majoritaire. Une loi – constitutionnelle – doit interdire ce type de cumul. Mais surtout, le degré de défiance des citoyens à l’encontre de leurs dirigeants exige désormais du Parlement qu’il donne « à voir » son indépendance à l’égard des groupes d’intérêts. Cette exigence implique de rendre incompatible l’exercice concomitant d’un mandat parlementaire et d’une profession libérale règlementée. Et si le Parlement retient cette mesure, il devra, selon la même logique, réformer le statut des professeurs d’université dont l’indépendance leur permet d’être tout à la fois enseignant-chercheur, parlementaire et… praticien.

La prévention des conflits d’intérêts suppose encore de créer de nouveaux mécanismes de contrôle et de sanction. Sur ce point, plusieurs pistes doivent être explorées. Pour éviter les « doublons administratifs », le Parlement devra d’abord supprimer la Commission pour la transparence financière de la vie politique et la Commission de déontologie dans la fonction publique pour les intégrer à la future « Haute Autorité de la Déontologie ». Cette nouvelle autorité ne devra pas être qu’une simple chambre d’enregistrement des déclarations de patrimoine et d »intérêts. Un pouvoir d’enquête lui sera reconnu afin d’examiner les antécédents professionnels et privés du Président de la République, des membres du Gouvernement, des parlementaires et des collaborateurs de cabinets. Le cas échéant, cette autorité pourra même délivrer un avis d’incompatibilité avec l’exercice de fonctions publiques électives et non électives. Elle se chargera encore de contrôler le respect par les membres du Gouvernement d’un délai de viduité dont la durée pourrait être fixée à trois ans.

Enfin, la prévention des conflits d’intérêts implique des sanctions pénales dissuasives. Si la proposition du Chef de l’Etat d’une inéligibilité à vie pour tout élu condamné pour fraude s’avère séduisante, elle soulève cependant le problème de sa constitutionnalité. Une alternative réaliste serait une inéligibilité de dix années. De même, les membres du Gouvernement sont actuellement exclus du champ d’application du délit de prise illégale d’intérêts. Ici encore, le Parlement peut intervenir. En d’autres termes, et comme le soulignait la Commission Sauvéen 2011, le délit de prise illégale d’intérêts ne doit dorénavant plus apparaître, « pour la généralité des acteurs publics, comme une sanction relativement hypothétique ».

La présentation du projet de loi de moralisation de la vie publique en conseil des ministres ne constitue toutefois que la première étape. Lors des débats au Parlement, la majorité devra se montrer unie, et à la hauteur des enjeux.

 

Retrouvez en ligne les actes I et II des  propositions de Cartes sur table pour un « turn-over » de la vie politique :

http://www.cartes-sur-table.fr/pour-un-turn-over-dans-la-vie-politique-acte-i-oui-au-non-cumul-integral/

http://www.cartes-sur-table.fr/pour-un-turn-over-dans-la-vie-politique-acte-ii-financement-politique-oui-a-un-choc-de-transparence/