Doc’Door, la maison du doctorat devrait bientôt ouvrir ses portes

Par Sébastien POULAIN

 

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Ce texte part du constat qu’il y a, en France, un déficit de valorisation et de socialisation des doctorants et docteurs, qui a des effets négatifs sur le nombre d’inscriptions, le nombre d’abandons, la carrière professionnelle, etc. Il propose en réponse la création d’une maison du doctorat appelée Doc’Door, adaptée aux besoins des doctorants et docteurs et aux besoins de personnes qui sont intéressées par leurs profils ou le seraient si elles en avaient une connaissance adéquate.

 

La problématique : les freins à la valorisation et à la socialisation des doctorants et docteurs

Le diplôme de doctorat suscite depuis longtemps des interrogations sur sa valeur. Les doctorants et docteurs sont parfois sous-valorisés, d’autres fois survalorisés professionnellement. Pour certains, le doctorat devrait être réformé entièrement et devenir par exemple le doctorat dit « professionnel », l’« Executive Doctorate in Business Administration », le « Doctorate of Business Administration », en tout cas être complété par d’autres diplômes, certificats, formations. Pour d’autres, le diplôme conduit exclusivement à l’enseignement, à la recherche et à l’université. Pour d’autres encore, ce diplôme serait inutile pour faire fonctionner l’économie, répondant à un niveau d’exigence trop élevé, donc inadapté.

Si les doctorants sont, selon les textes juridiques et selon les associations représentant les doctorants et docteurs, considérés comme des « jeunes chercheurs », c’est-à-dire des professionnels débutants, ils continuent d’avoir une carte d’étudiant, de payer des droits d’inscription, et ne sont considérés comme des chercheurs ni par les enseignants du supérieur et les chercheurs, ni par personne d’autre.

Les doctorants semblent avoir beaucoup de temps puisqu’ils disposent officiellement de trois ans pour finir leur thèse mais, dans la pratique, la nature et l’exigence du travail de doctorat rendent nécessaire d’y travailler pendant quatre, cinq ou même six ans. Il s’agit d’étudier un phénomène nouveau, et/ou avec une méthodologie nouvelle, et/ou avec des concepts nouveaux, et/ou sur un terrain nouveau, et/ou sur une nouvelle période historique, et/ou dans une nouvelle localité… Et la recherche ne représente qu’une partie de la thèse. En effet, les modalités de financement d’une thèse prennent des formes très variées impliquant des obligations professionnelles annexes : contrat doctoral, enchaînement de plusieurs bourses, contrats Cifre, petits boulots… en sachant que 40% des doctorants en SHS n’ont pas de contrats de travail. Et chacun de ces financements comporte ses exigences, ses contraintes, ses difficultés et ses conséquences pour le recrutement. Ainsi, l’objectif des trois ans est rarement atteint : 3,5 ans en « sciences dures », 3,7 ans en sciences de la vie, de la santé et de l’environnement, 5,25 ans en sciences humaines et sociales selon l’Aeres (sans compter les années d’inscription qui précèdent l’abandon de thèse). Aujourd’hui, le nouvel arrêté du 27 mai 2016 fixe officiellement la durée de la thèse à 3 ans en équivalent temps plein consacré à la recherche, même s’il y a des aménagements en cas de handicap, de congé parental, maladie, etc., et même si la possibilité existe de prendre une année de césure jusqu’à 6 ans maximum et de façon très encadrée.

Ainsi, le doctorant, dont le statut est incertain, doit fournir un travail lourd, adossé à un financement complexe et d’une longueur imprévisible. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il y a peu de docteurs chefs de grandes entreprises, ministres, députés (25 contre 100 en Allemagne), eurodéputés français (4 entre 2009 et 2014, 12 entre 2014 et 2019), dans la haute administration (1,8%), et que le doctorat semble faire peur au point que les étudiants en master hésitent à se lancer dans une thèse. Pire encore, on observe une reproduction et une affirmation des préjugés et un imaginaire les concernant : geeks, professeur Nimbus, Tanguy, etc.

 

Le contexte : les nouvelles politiques publiques doctorales institutionnalisantes

Pourtant, la thèse de doctorat ne se résume plus depuis longtemps à une inscription et une soutenance avec une relation aléatoire de maitre à élève avec un directeur de thèse entre les deux dates. Les doctorants ne peuvent plus être considérés comme des entités hors sol, abstraites, purement intellectuelles. Ce sont des chercheurs qui se forment par la recherche avec des aspirations, des idéaux, un besoin de sens, de bien-être et de se projeter dans l’avenir.

Ils ne sont plus seulement destinés à être enseignants-chercheurs ou chercheurs dans le secteur public. Il n’y a de toute façon pas assez de postes. Ils peuvent et souvent doivent devenir chercheur dans le secteur privé, salarié non chercheur dans le secteur privé, intrapreneur ou entrepreneur. Cela existait déjà dans les faits, mais il n’y avait pas ou peu de reconnaissance officielle par les entreprises, les institutions publiques, y compris les universités.

Si les doctorants ont la spécificité et la capacité d’être autonomes, cette autonomie peut tourner à vide s’il n’existe pas des institutions pour la soutenir. Or, les nouvelles politiques publiques en la matière visent d’une part à institutionnaliser et rationaliser le monde du doctorat, et d’autre part à conseiller, socialiser, former les doctorants via la création des écoles doctorales, des conseils d’école doctorale, des collèges doctoraux, des contrats doctoraux, des Comue, etc.

C’est dans ce sens que va l’arrêté du 27 mai 2016 qui entérine la nécessité des formations parallèles à l’activité de recherche et d’enseignement via des « conventions de formation » et le « portfolio du doctorant ». Il crée aussi le « comité de suivi individuel », prévoit la formation des directeurs de thèses, etc. A cela s’ajoute des aménagements récents pour des concours : l’agrégation, l’inspection générale des affaires sociales, l’ENA, le barreau ou la magistrature. Enfin, Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, a annoncé le 9 juillet 2015 « un plan emploi jeunes docteurs » présenté le 4 juillet 2016.

Mais ces nouvelles politiques publiques doctorales oublient de penser la thèse de doctorat comme une période de vie socialisante, quotidienne et globale. De leur côté, les laboratoires, dans lesquels les doctorants sont obligatoirement inscrits, ont des effets socialisants et professionnalisants mais sont surtout adaptés pour les doctorants souhaitant devenir chercheurs et enseignants-chercheurs.

 

La méthodologie : la stratégie de l’élitisme

Soit on considère que le diplôme de doctorat forme uniquement à la recherche et l’enseignement, soit on considère que c’est un diplôme à haute valeur ajoutée qui peut mener à une grande diversité d’emplois dans tous les secteurs.

Dans ce dernier cas, une cérémonie de remise de diplôme avec toge et toque est sans doute utile d’un point de vue social, symbolique et communicationnel, mais largement insuffisant pour valoriser un parcours qui est déjà élitiste dans les faits. En effet, pour atteindre le plus haut diplôme de l’enseignement supérieur, soit les docteurs sont passés par la sélection par concours dans les grandes écoles (un tiers des doctorats selon Xavier Cornu) ; soit ils sont passés par l’université où il y a une sélection de fait avant le doctorat compte-tenu des taux d’échec aux examens dès les premières années. Puis, il y a une sélection pour être accepté en thèse par un directeur de thèse, pour être financé, etc. Il faut aussi se souvenir du grand nombre d’abandons de thèse. Enfin, il y a la concurrence entre les doctorants pour obtenir des financements, des postes précaires et titulaires au sein des écoles doctorales et des laboratoires. Et cette concurrence existe aussi au niveau national, et même international compte-tenu de la mondialisation, des classements internationaux et du fait que les financements et postes sont ouverts aux étrangers.

Si le diplôme de doctorat a une haute valeur ajoutée, il faut que ce fait soit matérialisé et institutionnalisé. En effet, les écoles doctorales ne sont pas des écoles au sens matériel et institutionnel. Elles financent surtout des formations, des événements et des missions. Au contraire, il faudrait mettre en place un fonctionnement similaire à celui des institutions qui fabriquent habituellement des élites. Il faudrait créer de l’identité, de la distinction, des valeurs pour créer un esprit de corps, c’est-à-dire un groupe social qui a la possibilité de se retrouver régulièrement pour nouer des liens, apprendre à se connaître, lancer des projets communs, etc. Or, s’il existe de plus en plus d’évènements permettant aux doctorants de se rencontrer, ils sont trop souvent éphémères et irréguliers pour solidifier des liens. De plus, il s’agit de rencontres presque uniquement inter-doctorants. Les doctorants n’ont pas la possibilité de rencontrer les docteurs pour profiter de leurs conseils et de leurs contacts. Les docteurs ne peuvent pas rencontrer d’autres docteurs pour s’entraider et nouer des partenariats. Or, c’est en partie l’intérêt de faire une grande école que de pouvoir bénéficier de ses réseaux bien identifiés. Les nombreux réseaux sociaux numériques sont insuffisants pour créer des liens interpersonnels forts. Il faut forcément se rencontrer à un moment, de façon continue et avoir des conditions de travail adaptées.

Cela ne signifie pas pour autant que les doctorants et docteurs doivent s’enfermer dans une tour d’ivoire. Au contraire, il faut trouver un moyen pour faire en sorte qu’il soit possible des les écouter, rencontrer, interroger, recruter, etc.

 

Une solution : l’ouverture des portes de Doc’Door

Doc’Door – la maison du doctorat – doit donc bientôt ouvrir ses portes (doors). Et elle apportera des solutions concrètes et viables à beaucoup des problèmes, difficultés et contradictions soulevées plus haut.

Dans cet objectif, il s’agira de faire en sorte que Doc’Door soit premièrement le plus accessible possible, deuxièmement offre un grand nombre de services complémentaires à ceux qui existent déjà, troisièmement que son modèle organisationnel soit systémique et réticulaire, quatrièmement que Doc’Door soit diversement financée grâce à un partenariat public-privé. Avant une éventuelle généralisation, nous proposons une expérimentation à Paris.

1) L’accès à Doc’Door : ouvert et facile

Pour que Doc’Door fonctionne, il faut qu’il soit le plus ouvert et facile d’accès. Doc’Door ouvrira ses portes à des heures de travail habituelles et fermera ses portes tard, comme dans les grandes bibliothèques nord-américaines. Surtout si des doctoriales, des concours, des barcamps, des Edit-a-thons, des Hackatons s’y déroulent. C’est d’autant plus envisageable qu’il existe aujourd’hui des transports urbains nocturnes. Et cela peut être nécessaire si des doctorants et docteurs résident à Doc’Door.

L’accessibilité doit être aussi socio-économique. Dans l’idéal, Doc’Door sera gratuit. Il suffira de prouver son inscription en doctorat ou son diplôme de doctorat pour bénéficier d’une carte d’entrée. Mais on peut imaginer une adhésion symbolique pour un an, un mois ou un jour car c’est une manière de s’approprier, de respecter le lieu et de remercier pour tous les services fournis. Cela permettra aussi d’attester de la réussite de Doc’Door. Par ailleurs, certains services pourront être payés pour un usage temporaire (lancements, conférences, formations) ou permanent (pour le siège d’une entreprise au service des docteurs ou créée par des docteurs).

Enfin, l’accessibilité doit être sociodémographique. Doc’Door sera ouvert à tous les doctorants et docteurs, quels que soient leurs disciplines, universités, âges, nationalités, et objectifs professionnels. Au-delà, il sera possible aussi d’accueillir les acteurs socio-économiques (pour des partenariats et recrutements), le grand public (pour de la médiation), les étudiants en master (pour des conseils), etc.

Si Doc’Door est ouvert et accessible, il faut aussi et surtout qu’il soit utile, c’est-à-dire qu’il rende service.

2) Les services de Doc’Door : nombreux et adaptés

Doc’Door ne fonctionnera que si elle est susceptible d’apporter un certain nombre de services qui n’existaient pas jusqu’à présent. Doc’Door sera un lieu de l’activité permanente, quotidienne, régulière ou événementielle via des activités associatives, scientifiques, entrepreneuriales.

En ce qui concerne l’activité quotidienne, Doc’Door comprendra une salle ou des salles pour travailler individuellement : rédiger sa thèse, préparer ses enseignements, rechercher ou créer un emploi, etc. Dans cet objectif, Doc’Door permettra d’accéder à internet et à la bureautique mais aussi à toutes les revues scientifiques, et à différentes formes d’archives. Doc’Door diffusera aussi toutes les informations concernant les activités doctorales scientifiques et non-scientifiques : colloques, offres d’emploi, prix, etc.

Doc’Door comprendra des salles pour travailler collectivement : réunions d’associations, collectifs, entreprises, think tanks, etc. Doc’Door sera donc adaptée pour faire des interviews pour la thèse, pour rencontrer son directeur de thèse, un éventuel coach, et pourquoi pas un médecin ou un psychologue du travail.

Les recruteurs (les consultants RH par exemple) pourront venir à Doc’Door déposer des offres d’emploi ou de mission, contractualiser des partenariats, chercher des compétences et recruter. On peut imaginer des petits forums d’emploi par discipline, secteur d’activité, type de fonction, type de contrat. En effet, si beaucoup d’entreprises (surtout celles qui font de la R&D) savent que les doctorants et docteurs disposent de compétences et qualités spécifiques qu’on ne retrouve pas ailleurs, elles ne savent pas comment les contacter car il n’y a pas de centralisation des informations, des compétences, des personnes du fait de leur dispersion institutionnelle pendant la thèse et de leur disparition des institutions après. Il en est d’ailleurs de même pour les médias qui sont toujours à la recherche de jeunes chercheurs pour prendre de la distance vis-à-vis de l’actualité. De leur côté, les doctorants et docteurs ne savent pas non plus comment trouver ce type de recruteur compte-tenu de leur dispersion sur le territoire et de leur diversité : start-up, PME, PMI, ETI, grandes entreprises.

Une question importante est celle de la formation, qui est d’ailleurs entérinée par l’arrêté du 27 mai 2016. Les doctorants ne peuvent pas s’autoformer dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne ceux qui sont susceptibles de faciliter leur entrée sur le marché économique. Or, certaines formations et les compétences qui en découlent sont particulièrement nécessaires pour valoriser le travail de thèse : management, gestion, marketing, etc. Ces formations doivent se dérouler dans des lieux adaptés et être réalisées par des formateurs qui connaissent les spécificités du doctorat. Dès lors, on peut imaginer qu’au lieu de faire des formations au sein de leurs différentes universités, les doctorants auront accès à ces formations à Doc’Door. Aujourd’hui, les formations en place sont globalement trop courtes et ne sont pas des lieux de vie, de communication et de socialisation.

Doc’Door comprendra des lieux plus informels – restauration, divertissements – particulièrement adaptés pour la socialisation. Dans l’idéal, il faudrait prévoir des logements avec une organisation et des tarifs adaptés : plusieurs années pour une thèse, quelques semaines pour consulter des archives ou réaliser des entretiens, quelques jours pour participer à des colloques…

En ce qui concerne l’événementiel, Doc’Door comprendra des salles de type amphithéâtre. Les colloques pourront être « scientifiques », c’est-à-dire concerner les sujets de thèse comme la plupart des colloques universitaires. Mais ils pourront concerner aussi des sujets extérieurs à la recherche : par exemple des entreprises pourront y venir faire des présentations de leurs activités, de leur fonctionnement, de leur mode recrutement. Doc’Door accueillera des ateliers, des challenges, des barcamps, des Edit-a-thons, des Hackatons, des MOOC, des doctoriales, des concours d’innovation, des expositions scientifiques et autres formes de médiation scientifique, ou encore des émissions de radio ou de télévision réalisées en direct ou enregistrées. Il sera possible de se préparer à des entretiens, à des oraux de concours, à « MT180 », à la soutenance de thèse, ou encore d’exposer des posters ou de jouer des pièces de théâtre.

Les doctorants travaillent dans des conditions très différentes selon les disciplines, conditions de financement et de travail. Donc ils n’auront pas le même usage de Doc’Door. Certains sont très dépendants des locaux de leurs institutions de rattachement du fait du matériel technique qu’ils doivent utiliser. D’autres doivent être en déplacement pendant une grande partie de leur thèse du fait d’une forte dimension internationale de leur travail. Les premiers viendront surtout le soir pour se restaurer, dormir ou pour des activités associatives. Les seconds pourront être présents presque 24h/24.

Doc’Door sera donc ouvert, accessible, utile. Mais sur son modèle économique que reposera sa durabilité.

3) Le modèle organisationnel de Doc’Door : systémique et réticulaire

Le modèle organisationnel de Doc’Door doit faire l’objet d’une réflexion au niveau interne, externe et global.

D’un point de vue interne, le modèle économique de Doc’Door sera viable si l’on part du postulat que la thèse de doctorat est une expérience professionnelle qui doit avoir les mêmes avantages que d’autres expériences professionnelles tout en bénéficiant d’une certaine flexibilité liée aux types d’activité des doctorants. Elle doit être à la fois individualisée (adaptée au parcours de chacun), collective (les doctorants doivent être enserrés dans un tissu social dense), globale (du travail scientifique jusqu’au plaisir et au divertissement) et interactive (avec les acteurs socio-économiques, les étudiants et le grand public). Une communauté doctorale en réseau doit être mise en place et entretenue pour éviter l’individualisme désocialisé. On sait que le réseau que le doctorant met en place pendant sa thèse aura une influence décisive sur son avenir académique ou non-académique. Or, si certains doctorants peuvent se sentir seuls quand ils font leur thèse, les choses peuvent empirer encore quand ils sont docteurs car ils perdent les financements et le peu de lieux de socialisation qu’ils avaient en partie à disposition. La durée entre la soutenance de thèse et la prise d’un poste en tant que titulaire peut être longue et aléatoire sans qu’il y ait de bureau permanent à disposition.

Il y a donc dispersion, individualisation, atomisation, précarisation, désocialisation des doctorants et des docteurs. Or, selon la loi de Robert Metcalfe, l’« utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. » Autrement dit, la multiplication des soutenances de thèse (le rapport STRANES veut porter le nombre annuel de docteurs à 20.000) est moins utile que leur mise en relation : chaque personne qui s’ajoute au réseau ajoute de multiples liens possibles avec l’ensemble des personnes déjà dans le réseau. La Communauté Française des Docteurs (CFD) a été créée par l’ANDès et est présente sur LinkedIn, Viadeo et Facebook, mais il lui manque des lieux pour matérialiser les relations numériques et les éventuels projets.

Cette dispersion des forces et des énergies doctorales conjuguée au manque de réseau rendent les 10 000 soutenances de thèse par an et 65 800 doctorants invisibles, désincarnés et inefficaces. Les doctorants et les docteurs sont connus pour avoir des idées qui sortent de l’ordinaire, mais ces idées se perdent dans la nature si elles ne sont pas matérialisées, financées, institutionnalisées.

Ajoutons qu’aujourd’hui, l’interdisciplinarité est particulièrement valorisée par les institutions publiques. Cela se matérialise dans des financements publics ou un Centre de recherches Interdisciplinaires. Il est donc nécessaire pour les doctorants des différentes disciplines d’avoir la possibilité de se rencontrer et d’apprendre à se connaître.

D’un point de vue externe, Doc’Door se situe dans la continuité des projets actuels les plus innovants qui essayent de mettre en place des écosystèmes. Les institutions écosystémiques se multiplient pour financer, conseiller, former, faciliter : ce sont les incubateurs, Technopoles, SATT, Clusters, Pépinières, Instituts Carnot, etc. Ainsi, Doc’Door devra être mis en réseau avec ces organismes mais aussi les entreprises, les laboratoires, les universités, les associations, les institutions publiques, les ONG.

Cette mise en relation servira les doctorants et docteurs pour leur carrière professionnelle personnelle en ce qui concerne la création d’entreprise ou la recherche d’emploi, mais aussi au financement du lieu grâce à des partenariats divers (le mécénat).

En effet, Doc’Door sera financé principalement par les institutions publiques mais aussi par les entreprises et associations, par les doctorants et docteurs. Il faudra donc décider d’une grille tarifaire adaptée aux différents usages et aux différentes personnes morales et physiques utilisatrices de Doc’Door qui auront une place dans sa gouvernance. En effet, ce type de lieu a forcément un coût non négligeable : il faut des salariés pour l’accueil, l’information, la sécurité, l’entretien, la gestion quotidienne, etc.

4) Le financement : multiple et diversifié

Pour budgétiser Doc’Door, regardons l’économie dans laquelle la maison du doctorat prendra sa place via des Partenariats Public-Privé économiques, scientifiques, culturels, etc.

Le budget 2016 de l’enseignement supérieur et de la recherche s’élève à 23,25 milliards € (une hausse de 347 M € par rapport à 2015) soit 1,4 % de son PIB (c’est un peu en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE). Les subventions pour charge de service public (SCSP) sont de 11,8 milliards € (chiffres de 2016) pour les opérateurs de l’Enseignement supérieur, et entre 34 000 € pour la Comue d’Aquitaine et 485 M € pour Aix-Marseille. Aix-Marseille Université dispose d’un budget de 700 M€, l’École polytechnique de 65 M€, l’Université de Bretagne occidentale 185 M€. La Comue d’Aquitaine dispose d’une dotation de 20 M€ contre 800 M € pour l’ensemble des universités et grandes écoles qui la compose. On s’attend à 335.000 étudiants supplémentaires entre 2014 et 2024 ce qui nécessite des enseignants, des espaces de travail, des logements, etc. A la rentrée 2015, il y a eu 65 000 étudiants supplémentaires ce qui nécessite 200 M€ selon la CPU et 500 M€ selon des syndicats.

Les frais annuels de scolarité à l’université sont plus bas (184 euros pour les étudiants en licence, 256 euros en master et 391 € en doctorat) que dans certaines écoles comme Science Po Paris (de 0 à 9 000 €), l’Essec (10 000 € par an) ou Dauphine (4 000 € pour un master) et plus élevés que d’autres comme Normale Sup où les étudiants perçoivent 1 500 € nets par mois et Polytechnique où les étudiants perçoivent 800 € par mois et où ils coûtent 15 fois plus cher au système qu’un étudiant en lettres. Au final un étudiant en première année d’université de sciences humaines coûte environ 3 600 € par an à la collectivité, contre plus de 10 000 € pour un élève de grande école, tandis que l’enseignement supérieur consacre $ 14 100 par jeune face aux $ 30 000 aux Etats-Unis. Il y a donc de la marge pour rattraper notre retard par rapport aux Etats-Unis, et il y a donc de quoi financer Doc’Door.

En ce qui concerne le coût du type d’espace de travail que constituera Doc’Door, regardons ce qui se fait déjà dans ce domaine car les doctorants et docteurs pourront éventuellement créer des entreprises. L’incubateur d’Arts et Métiers dispose de 25 places sur 300 m2. Les incubés bénéficient d’un accès à une salle de réunion, au café des Techniques pour les rendez-vous professionnels, aux bibliothèques du Cnam, à la cantine du Cnam et aux activités sportives et culturelles à des tarifs très attractifs. Il peut être utilisé par tous les étudiants de héSam Université. Il a un budget de fonctionnement de 180 000 € (chiffres de 2014). Paris Pionnières (incubateur, pépinière, espace de coworking pour les femmes entrepreneures indépendantes sur 500 m2) dispose de 860 000 € (chiffres de 2014), Numa (coworking, accélérateur, fablab, événements pour potentiellement plus de 200 start-up et 45 000 personnes par an dans 1 500 m²) 2,4 M€ (chiffres de 2013), etc.

Pour le logement, la Cité internationale universitaire de Paris comprend 250 000 m2 habitables, soit 5 800 logements pour 12 000 personnes (75% d’origine étrangère) avec 90% d’étudiants et 10% de chercheurs (dont 7% de doctorants et post-doctorants). Elle nécessite 500 salariés (14 M€ en charges de personnel en 2014), et un budget de fonctionnement de 37 M€ (chiffres de 2009).

Il est nécessaire de construire des logements pour les futurs étudiants mais aussi les futurs nouveaux doctorants et docteurs. Un internat à Doc’Door apparait donc comme particulièrement pertinent.

En ce qui concerne les financements publics susceptibles de subventionner Doc’Door, il y a les « Projets de recherche et développement Structurants pour la Compétitivité » du programme d’investissements d’avenir (doté par gouvernement Ayrault de 12 milliards €, dont 3,6 milliards pour la recherche et à l’université, destinés à financer des projets à l’horizon 2025, et qui s’ajoutent aux 35 milliards € du gouvernement Fillon), le Fonds unique interministériel pour des projets au-dessus de 750 000 €, les « aides à l’innovation » de la Banque publique d’investissement pour des projets en dessous de 750 000 €.

Pour le co-working, la Mairie de Paris a financé à hauteur de 4 M€ 14 projets de co-working en 2015. « La Cantine » est financé pour moitié par des subventions publiques et pour moitié par un partenaire privé (Orange à hauteur de 50 000 €) et par la location de l’espace pour des conférences de presse, des présentations d’entreprises, etc. « Ici Montreuil » réunit un financement croisé public/privé pour atteindre un budget total de 500 000 €. Il s’est structuré en Coopérative d’intérêt Collectif et a intégré les collectivités locales dès le portage de projet.

Le financement de la Cité internationale universitaire de Paris provient de 77 partenaires publics et privés. En 2014, le Ministère de l’éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche verse 7 M€ (Convention quinquennale, ANR, services aux publics, subventions d’investissement), le Ministère de la Culture et de la Communication 1,3 M € (théâtre, projet art campus), la ville de Paris 800 000 € (théâtre, service aux publics), la Région Ile-de-France 600 000 € (Services aux publics, Théâtre, Patrimoine).

Les pôles de compétitivité (71 reconnus par l’État en juillet 2014 financés grâce à un peu plus de 100 M€ de crédits dans le projet de loi de finances pour 2015) pourraient être partenaires. A Paris, Cap Digital (30 employés) dispose d’un budget de 5 M€ tandis que Finance Innovation dispose d’un budget total de 70 M€ (en 2010, 47 projets labellisés).

Il y a aussi 34 Instituts Carnot en France et ils représentent 15% des effectifs de la recherche publique, soit 27 000 professionnels de la recherche en équivalent temps plein (ETP) dont 8000 doctorants – 1400 en contrat CIFRE -, et 458 M€ de contrats de recherche directement financés par les entreprises.

En ce qui concerne le financement par les utilisateurs éventuels de Doc’Door, il y a la possibilité d’une adhésion symbolique à l’année ou la journée par les doctorants et docteurs. Pour la création d’entreprise, les entreprises incubées à Arts et Métiers reversent à leur incubateur entre 5 000 et 10 000 € (chiffres de 2014). Sensespace demande 350 € HT (à temps plein) 185 € HT (à mi-temps) par mois et personnes pour du co-working dans 550 m2 pour 80 colocataires. Un bureau permanent en coworking avec accès 24/7 coûte habituellement 245 €/mois, un bureau flexible avec accès pendant les heures de bureau (par exemple: lundi-vendredi, 8-20h) coûte 189 €/mois, bureau flexible 24/7 232 €/mois.

En ce qui concerne le logement, les loyers mensuels dans les résidences étudiantes sont équivalents au prix d’une location dans le parc privé : pour un studio, environ 700 € à Paris (chiffres de 2014). L’hébergement représente 67% du CA de la Cité internationale universitaire de Paris avec 19 M€ en 2014. Le prix d’une place varie d’une maison à l’autre : de 140 € par mois pour un lit en chambre double à 470 € par mois pour une chambre individuelle (2009).

En ce qui concerne les financements privés, les entreprises ont une sorte de dette envers le doctorat car plus de 15 000 entreprises de toutes tailles bénéficient du Crédit d’impôt recherche (CIR) qui finance l’investissement en R&D et le recrutement de docteurs et représente 5,5 milliards € (chiffres de 2015) annuels. La Fondation HEC a récolté 113 M€ lors de la campagne 2008-2013. Polytechnique a reçu près de 35 M€ de dons entre 2008 et 2012.

5) Expérimenter avant de généraliser : l’exemple de Paris

Une maison du doctorat à Paris est particulièrement pertinente car c’est une ville cosmopolite, ouverte, centrale, internationale, riche avec de bonnes conditions de transport et une place centrale en France et en Europe. Beaucoup de doctorants et de docteurs doivent y passer et y habiter sans y être rattachés. C’est à Paris et en Ile-de-France que se concentre une grande partie des étudiants (25%), des doctorants (40%), de la recherche scientifique, mais aussi de l’activité socio-économique hexagonale : avec 46 incubateurs (dont les gigantesques Le Cargo de 15 000 m2 et La Halle Freyssinet de 34 000 m2), Paris se classe 1re métropole mondiale pour l’innovation et le capital intellectuel, ville à l’économie la plus dynamique de la zone euro, 3e ville au monde la plus attractive et la plus accueillante pour les investisseurs étrangers ou encore leader du nombre d’implantation de sièges sociaux parmi les 500 premières entreprises mondiales, avec 29 d’entre eux.

En s’inspirant des écosystèmes dans la Silicon Valley, Doc’Door devrait être placé dans le centre de Paris où se croisent les métros, bus, trains qui mènent aux principales gares et aéroports mais aussi aux principaux sièges des entreprises et des principales institutions publiques nationales et surtout aux différentes grandes écoles et universités d’Ile-de-France. Pour faire des économies au niveau de la mise en place, il est possible de mettre Doc’Door à proximité de chambres étudiantes déjà existantes qu’il s’agirait de réaffecter pour que seuls des doctorants et docteurs puissent y avoir accès.

En faisant abstraction de la partie logement de Doc’Door, de la réaffectation (donc de la construction ou reconstruction) d’un espace de 2 500 m² mis à disposition par les institutions publiques, Doc’Door aura un budget annuel de 900 000 €, dont 500 000 euros de personnel, 175 000 de maintenance technique et informatique, 175 000 € de communication et événementiel, 50 000 € de fournitures.

 

Conclusion : une politique doctorale adaptée à notre temps et les bénéfices escomptés

A l’heure des regroupements des universités et écoles dans les Comue, à l’heure où ces établissements parviennent à se réunir et à s’accorder pour financer et communiquer sur un salon d’emploi des docteurs ; à l’heure des Pepite, J.E.U., J.E.I., i-LAB et alumni, à l’heure des Maisons des associations et des Maisons des Sciences de l’Homme, à l’heure de la formation tout au long de la vie, des universités populaires et des Universités de tous les savoirs ; à l’heure de l’open science, access, data, source, innovation, de la science citoyenne et participative ; à l’heure aussi de la société de l’information et de la connaissance, des réseaux sociaux, de la numérisation et de la mondialisation (visible via les classements internationaux) ; à l’heure encore du co-working et des Tiers Lieux, des incubateurs, des SATT, des CEEI, des gaminghouses, des fablabs, des instituts Fraunhofer en Allemagne (voir p45), du projet de Civic Tech pour réinventer la démocratie… A l’heure de l’économie du partage, durable, circulaire, soutenable…

A l’heure enfin de #NuitDebout, de la précarité tous azimuts, du chômage élevé persistant chez les jeunes, du manque de valorisation et des compétences, de la plateformisation (uberisation), des difficultés économiques perpétuelles, du manque de pluralisme et de diversité, de la « fuite des cerveaux » à l’étranger…, il faut voir grand en ouvrant un premier Doc’Door pour mieux valoriser le doctorat.

Bénéficiant des effets de réseau, de système, d’agrégation, de masse, d’association, de complémentarité, d’identification, de corps, d’intelligence collective, Doc’Door sera un regroupement productif des forces innovantes, un lieu de rédaction de thèse, de discussion, de socialisation, d’échange de compétences, de professionnalisation, de recrutement, de médiation scientifique, de valorisation… dont les effets bénéfiques escomptés seront nombreux :

1) l’augmentation de l’activité doctorale scientifique et non-scientifique du fait de la multiplicité des rencontres possibles dans un cadre formel et informel ouvert et disponible,

2) une meilleure formation des doctorants et docteurs du fait de la réalisation des formations plus régulières, approfondies, diverses et socialisantes, mais aussi de la transmission plus informelle d’informations entre les plus jeunes et les plus expérimentés,

3) la diminution des abandons de thèse du fait des encouragements, de la pression sociale, de la socialisation, du meilleur confort de travail des doctorants,

4) la constitution de réseaux professionnels multidisciplinaires, multilingues, multinationaux grâce à la grande ouverture de Doc’Door en journée et soirée pour les doctorants mais aussi les docteurs dans le but de travailler, d’organiser des événements, de réaliser des projets communs,

5) un bien-être supérieur des doctorants et docteurs grâce aux possibilités de socialisation, aux différents types de conforts (lieu de travail, de formation, de soutien, de coaching, de logement, du divertissement…) apportés par Doc’Door au cours de la thèse mais aussi après,

6) une meilleure valorisation, notoriété, reconnaissance du doctorat et de la recherche scientifique grâce aux rencontres avec le tissu socio-économique et le grand public du fait des différentes formes de communication, médiation, événementiel, projets, et du fait de la distinction par rapport aux étudiants et de l’institutionnalisation du diplôme,

7) une meilleure insertion/mobilité professionnelle des doctorants et docteurs dans le tissu socio-économique du fait des échanges, rencontres, projets, formations, en sachant que cette meilleure intégration professionnelle (trouver un emploi) conjuguée à la meilleure valorisation aura nécessairement des effets positifs sur la reconnaissance professionnelle (au niveau emploi et rémunération),

8 ) l’augmentation du nombre d’inscriptions en thèse grâce aux meilleures conditions de travail, aux meilleures perspectives de carrière, à la meilleure valorisation du doctorat et à l’attractivité de la recherche,

9) l’augmentation du nombre de thèses « financées » à terme du fait de nouveaux acteurs privés acceptant de prendre des doctorants et de financer leur travail,

10) la diminution de la précarité des doctorants et docteurs grâce à un lieu adapté pour rédiger leur thèse, corriger les copies de leurs étudiants, trouver des financements, rencontrer des employeurs ou d’autres doctorants et docteurs, exposer leur travail au public…

Il n’est pas nécessaire d’attendre les présidentielles de 2017 pour préparer la mise en place de Doc’Door puisqu’un « plan emploi jeunes docteurs » est en cours de réalisation. Mais, à défaut, la maison du doctorat pourra figurer sur les programmes politiques qui sont rarement innovants dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Doc’Door sera une porte qui donnera un visage au doctorat, une porte qui en changera la perception, une porte (un levier) vers l’avenir et l’or que constituent les doctorants et docteurs.

 

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