Par Mehdi Mahammedi-Bouzina

 

A partir de septembre prochain, tout ce que notre pays compte de professionnels de la politique va vivre au rythme de l’élection présidentielle de 2017. Comme le veut une loi non-écrite, la campagne portera essentiellement sur quelques grands thèmes, des marqueurs, qui permettront aux électeurs de se déterminer. Or, la plupart des candidats, déclarés ou non, à l’élection présidentielle qui ont une force de frappe médiatique importante ont un intérêt objectif à évacuer la question économique pour se focaliser sur des questions identitaires. Mais cet intérêt ne se confond pas avec celui de la société. Celle-ci ne doit pas se faire voler le juste débat auquel elle a droit sur les thématiques économiques et écologiques.

« It’s the economy, stupid ! », ce célèbre gimmick de la campagne de Bill Clinton à la présidentielle américaine de 1992 traduit la capacité que peut avoir un candidat dynamique et novateur à imprimer un thème de campagne quand bien même celui-ci n’est pas de prime abord en tête des préoccupations des citoyens. Pour mémoire, le président de l’époque Georges Bush sénior bénéficiait d’une grande légitimité auprès des Américains. En effet, bénéficiant de la dynamique de la première guerre du Golfe, 90% des Américains jugeaient son bilan comme positif en mars 1991. En août 1992, après une campagne active des démocrates axée sur le ralentissement économique, 64% des électeurs considéraient que le bilan du président républicain était négatif. La suite de l’histoire est connue. Clinton l’emporte sur Bush sénior malgré le succès militaire et diplomatique que ce dernier avait connu en Irak.

A l’image d’un George Bush qui n’avait pas véritablement d’intérêt à focaliser la campagne sur la question économique, nombre des principaux candidats à la prochaine présidentielle française pourraient tenter d’éluder les thématiques économiques ou, en tous cas, de faire passer ces questions au second plan derrière les sujets identitaires qui ont le mérite de susciter l’adhésion de pans entiers de l’électorat à peu de frais (si l’on ne tient pas compte des dégâts que des heures et des heures de débat centrés sur le rejet de l’autre causent).

Le Président sortant, François Hollande aura au pire échoué sur le chômage – on compte aujourd’hui environ 1 million de chômeurs supplémentaires toutes catégories confondus depuis son installation à l’Elysée –, au mieux pas réussi assez vite. Il n’a pu retrouver quelques couleurs qu’en matière de lutte contre le terrorisme, vite affadies toutefois dès lors qu’il s’est compromis dans le débat sur la déchéance de nationalité. Il est de plus poussé dans cette voie par une partie de la gauche qui cède aux sirènes identitaires, pensant qu’il suffit de courir derrière le Front national pour le contrer. Cette partie de la gauche, dont Manuel Valls se veut le leader, estime que le peuple est aujourd’hui en attente d’autorité, voire d’autoritarisme sur les sujets de société, et libéral économiquement. Constatant que les Français n’ont pas d’aspiration massive pour le libéralisme (la fronde contre la loi travail en témoigne), elle a choisi de mettre l’accent sur les questions identitaires. La pantalonnade de la déchéance de nationalité a été l’un des signes de la montée en puissance de cette gauche. En outre, la gauche actuellement au pouvoir aurait un intérêt objectif à renforcer le tout-identitaire lors de la campagne présidentielle afin de favoriser la pression du Front national sur la droite et engendrer ainsi un maximum de triangulaires lors des élections législatives qui suivront, triangulaires qui seront un moyen pour elle de conserver un grand nombre de circonscriptions.

Parallèlement, les candidats à la primaire de la droite, Alain Juppé et François Fillon en tête, se sont lancés dans une véritable surenchère au thatchérisme – retraite à 65 ans, hausse du temps de travail, suppression de centaines de milliers d’emplois publics, suppression de l’ISF – surenchère qui, si elle est nécessaire dans une primaire réservée au noyau dur de la droite, pourrait causer du tort au candidat qui en sera issu lorsqu’il se présentera au suffrage universel. Ainsi, le candidat de la droite aura tout intérêt à minimiser l’importance des sujets économiques, une fois la campagne présidentielle débutée. En outre, le souvenir de la séquence 2002-2012 est encore trop frais dans l’esprit des électeurs pour que la droite soit véritablement crédible en matière de lutte contre le chômage. C’est pourquoi un raidissement sur les questions d’identité et une attaque frontale d’une supposée complaisance de la gauche sur ces sujets seraient objectivement profitables au candidat de la droite. Le discours de Lille de Nicolas Sarkozy du 8 juin dernier, dans lequel il dénonce avec la vigueur et la véhémence qu’on lui connaît la « dictature des minorités » qui oppresserait la majorité silencieuse, en est un spectaculaire signe avant-coureur.

Le Front national reste largement peu crédible en matière économique et sociale. La sortie de l’Euro ne suscite pas d’enthousiasme démesuré et divise l’extrême-droite. Il a donc également tout intérêt à axer la campagne électorale sur la xénophobie et la sauvegarde d’une société française fantasmée face à un ennemi intérieur, issu des immigrations africaines et de préférence musulman.

Enfin, les électeurs, constatant l’impuissance des dirigeants, tous partis de gouvernement confondus, à traiter la maladie du chômage, pourraient considérer qu’il vaut mieux se déterminer sur des questions identitaires, car ce serait là la seule question que les politiciens ont les moyens de traiter. Or, le grand perdant d’une campagne principalement focalisée sur la question identitaire sera le peuple français lui-même, dans sa diversité et sa richesse.

Une campagne électorale laisse en général assez peu de place à la subtilité. C’est la loi du genre et une conséquence de la « bfmisation » de l’information. Ainsi, vu le contexte géopolitique (guerres au Moyen-Orient, en Libye et en Afrique subsaharienne, terrorisme, etc.), une campagne identitaire conduirait presque inévitablement à la division de la société française entre jeunes et anciens, Français d’ici et Français de là-bas, Français qui croient en la transcendance et Français qui n’y croient pas.

Pour passer outre ce piège qui menace de se refermer sur elle, la société civile, grâce à ses moyens d’expression, doit répondre d’un trait à cette thématique identitaire : la France de demain sera universelle et faite par des personnes de toutes origines et de toutes les couleurs. La concorde civile est un impératif catégorique pour que notre nation presque deux fois millénaire traverse la crise qu’elle connaît.

En outre, pour le bien du pays et la qualité du débat, il est primordial que les candidats soient dans la nécessité de présenter un programme crédible pour faire face au défi écologique et à la crise économique. La révolution numérique et le mur écologique doivent nous inciter à repenser radicalement nos modes de production et de consommation. Il s’agit là d’une nouvelle révolution industrielle. De plus, des phénomènes comme « Nuit debout », l’abstention massive ou le mouvement social larvé que nous vivons depuis plusieurs mois doivent nous inciter à repenser nos institutions. Ce sont là les véritables enjeux des prochaines années. L’identité est le produit des innombrables interactions qui ont lieu chaque jour entre les Français. Elle ne se décrète pas par le haut, encore moins dans une optique politicienne. A l’inverse des grandes orientations de notre économie. En 2017, « It must be the economy, stupid ! ». Espérons que nous aurons droit à notre Bill Clinton.

Gageons même que le candidat progressiste qui saurait porter un discours puissant et fédérateur sur les questions économiques et sociales, tout en tenant compte des problématiques écologiques, sera à même de susciter l’adhésion d’une partie du peuple français qui croit aux thèses longtemps véhiculées par la gauche de gouvernement et qui s’est réfugiée dans l’abstention, voire le vote frontiste.

 

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